Le huitième tome des aventures de Claire et Théo
Chapitre 1
Claire et Théo avaient décidé de passer la nuit dans l’église de Tréhorenteuc. Ils savaient qu’ici ils étaient à l’abri de tous les mauvais tours que Lucifer, désormais leur nouvel ennemi, pourrait leur jouer.
Les derniers jours avaient été pénibles et ils n’avaient toujours pas pu se reposer depuis leur sortie des enfers. Les quelques heures de répit qui s’annonçaient seraient donc les bienvenues, même s'ils les passaient allongés sur des bancs de bois inconfortables.
Ils s’endormirent très vite d’un sommeil profond.
Ce fut un rayon de soleil à travers un vitrail qui les réveilla avec des nuances de bleu, de rouge et de jaune. Claire l’admira un moment tandis que son jeune frère se leva dans l’instant et alla vérifier qu’aucun danger ne les attendait aux abords immédiats de la chapelle.
L’air sentait encore un peu le souffre par endroits, relents de la présence de Lucifer la veille en fin de journée.
— C’est bon, dit-il à Claire, on peut y aller.
— Vivement qu’on soit à la maison, répondit-elle. Les parents doivent être morts d’inquiétude.
— Tu m’étonnes Simone ! Dépêchons-nous !
Claire sortit, rassembla ses esprits et accumula suffisamment de Numineux pour se transformer à nouveau en goéland géant. Théo, quant à lui, était inquiet. Il ne comprenait toujours pas pourquoi il ne pouvait plus se métamorphoser.
— Dis-donc, dit-il, tu es devenue drôlement rapide pour le Numineux !
— C’est vrai, j’ai avalé une pépite d’orichalque pour pratiquer ma magie en enfer et en plus Excalibur est du même métal.
— Trop cool !
— Oui mais peut-être trop facile ! Je ne connais pas les effets à long terme.
— Bah ne t’angoisse pas ! Cela t’a quand même bien rendu service aux enfers non ?
— T’as raison Léon, allons-y !
Théo grimpa sur le dos de sa sœur et se cala sur ses épaules entre ses ailes. Claire prit son élan et s’envola.
Les deux enfants appréciaient vraiment leurs escapades aériennes. Les grandes ailes de Claire les portaient sur des courants d’air chauds qui lui caressaient le bec et la tête.
Après cette nuit de sommeil, ils se sentaient beaucoup mieux, reposés, et plus confiants dans la suite des événements. Ils volèrent dos au soleil levant pendant une heure et demie. Lorsqu’ils aperçurent au loin la baie de Douarnenez, ils poussèrent des cris de joie.
Tout à leur allégresse, ils ne virent pas une forme sombre qui plongeait sur eux ! Ils ne l’évitèrent que par réflexe ! Théo dut s’accrocher aux plumes du cou de sa sœur tandis que cette dernière virait d’un coup et plongeait en piqué.
Ils pensèrent d’abord à un rapace, mais le volatile qui les attaquait avait la taille d’un cheval !
Ce ne fut que lorsque la créature revint vers eux après un large virage dans les airs qu’ils reconnurent la santirine, cette Impossible qu’ils avaient déjoué une fois à l’occasion de leur rencontre avec Ahès.
— CETTE FOIS VOUS NE M’ÉCHAPPEREZ PAS, leur cria-t-elle.
Elle se précipita vers eux la gueule grande ouverte et remplie de dents effilées comme des rasoirs, prête à les déchirer vivants.
Claire et Théo ne maîtrisaient pas suffisamment la magie de l’air pour être à l’aise lors d’un combat aérien. Aussi décidèrent-ils de plonger à nouveau vers la terre pour se mettre à l’abri dans un bosquet qui se trouvait là.
La santirine, tournoyant comme un charognard, prit du temps pour les repérer. Cela permit à Claire de reprendre forme humaine. Elle dégaina Excalibur tandis que Théo récupérait un bâton pour faciliter son accumulation de Numineux en vue de lancer un sort.
Son véritable bâton de Magister avait été perdu lors de son enlèvement par les démons. Il dut donc plus se concentrer pour disposer d’assez d’énergie magique.
La santirine vint se poser face à eux, menaçante !
— Je n’ai pas oublié, gronda-t-elle. Vous vous en êtes tirés la dernière fois mais désormais vous êtes seuls.
— Ne dois-tu pas nous proposer une énigme avant de nous dévorer ? demanda Claire tandis qu’Excalibur trépignait d’impatience entre ses mains.
— Non, je ne suis plus avec Ahès. Je fais désormais ce que je veux. Plus d’énigme pour vous, il est trop tard. Je vais vous dévorer !
Elle bondit vers eux mais une bourrasque soudaine et contraire la ralentit. Claire eut le temps de parer son attaque avec Excalibur puis elle lui donna un violent coup sur la figure.
Un filet de sang gicla qui ne fit que décupler la rage de l’Impossible. Elle poussa un rugissement terrible et battit violemment des ailes afin de soulever un nuage de poussière et aveugler les deux jeunes gens.
Claire et Théo durent se protéger les yeux !
— Laisse-moi faire, tu ne vois plus rien ! transmit Excalibur à Claire.
La jeune fille se plaça devant son frère pour le protéger puis relâcha son emprise sur son épée qui se mit à virevolter dans sa main pour contrer les attaques que la santirine lançait contre eux en profitant du nuage. Par deux fois, Claire sentit le courant d’air nauséabond de l’haleine de la créature avant le claquement sec de ses mâchoires qui se refermaient. Heureusement, Excalibur contra.
Au bout d’un moment, Théo eut assez de Numineux pour lancer un sort. Il ouvrit les yeux pour repérer la santirine dans la poussière puis prononça un mot : « LEROIEREZETEM ! »
Aussitôt des lianes de lierre sortirent du sol et vinrent ligoter la créature. Cette dernière commença par se débattre, mais les lianes étaient trop grosses. Elle ne pouvait plus bouger !
— Maintenant tu vas nous dire ce qui t’a pris ! ordonna Claire. Pourquoi nous as-tu attaqués ?
— Je n’ai pas pu vous dévorer la dernière fois parce que vous êtes parvenus à résoudre l’énigme que je vous avais posée. Quand je vous ai vus, j’ai voulu rattraper le coup.
— Mais pourquoi ? Nous avions gagné dans les règles !
— Je ne suis pas fair-play. Et puis ces règles étaient celles d’Ahès, pas les miennes !
— Tu es parvenue à vaincre Ahès ?
— Non, il y a deux jours, je me suis réveillée et le sort qui me retenait avait disparu. Je me suis enfuie. J’ai ressenti un appel pressant qui me poussait à aller vers le nord. C’est en m’y rendant que je vous ai vus. Fin de l’histoire !
— Un appel ?
— Oui quelque chose qui parlait directement à mes instincts.
Claire prit Théo à part.
— Avant de rentrer nous devons trouver la source de cet appel. Il faut aller au nord, nous aussi, lui dit-elle.
Théo poussa un profond soupir.
— J’aimerais mieux rentrer à la maison.
— Moi aussi, répondit Claire. Crois-moi, surtout que nous ne sommes plus très loin mais mon instinct me pousse à aller voir ce qui se passe.
— Tiens c’est marrant parce que moi, pas du tout. Au contraire !
— La santirine est une créature maléfique. Si elle ressent le besoin d’aller au nord, je suis sûre que Lucifer est derrière tout cela, insista la jeune fille en posant la main sur l’épaule de son frère.
— Tu as encore raison, répondit Théo. Mais c’est fatigant à la longue ! Évidemment que nous devons aller voir ce qui se passe avant de retrouver les parents.
— Je vais reprendre ma forme de goéland et on volera plein nord. Si ce qu'a dit la santirine est vrai, nous ne tarderons pas à repérer des choses de là-haut nous aussi.
— Ok mais que fait-on d’elle ?
— Laissons la ici. Quand elle parviendra à se détacher, nous serons loin. Endors-la, ça nous fera encore gagner du temps.
— Ou on la détruit, transmit Excalibur à Claire en s’agitant dans sa main.
— Ou on la détruit, répéta Claire.
Théo la regarda, étonné.
— Dis donc je ne te savais pas si expéditive ! C’est moi l’empressé, normalement avec ma magie rouge.
— C’est vrai ! Peut-être qu’Excalibur déteint sur moi.
— De toutes façons. Même si elle est maléfique, elle ne peut plus se défendre. Ce serait une exécution et je m’y refuse.
— Tu as raison. C’est de la noblesse élémentaire et toi tu ferais bien de t’en inspirer, dit Claire à son épée.
L’arme ne répondit rien et abandonna toute velléité guerrière. Elle devint si lourde que la jeune fille eut du mal à la porter. La pointe tomba par terre.
— C’est quoi ça ? demanda Théo.
— Elle boude. Ça lui passera quand je l’aurai remise dans son fourreau.
Ce qu’elle fit avec l’aide de son frère tellement l'épée mit de la mauvaise volonté à se laisser manipuler. Puis Théo se concentra et lança un sort de sommeil sur la santirine.
— Ok, maintenant allons-y ! dit Claire.
Elle se métamorphosa à nouveau en goéland et, une fois son frère installé sur son dos, reprit son envol, laissant derrière elle l'Impossible qui ronflait.
Ils profitèrent des forts courants ascendants et grimpèrent jusqu’à une altitude qui leur permit de voir toute la région du Finistère centre d’un seul regard. C’est là qu’ils remarquèrent des colonnes sombres, pareilles à des fourmis qui venaient de partout et se dirigeaient vers le même point précis. Chaque colonne semblait suivre un parcours spécifique qui serpentait et faisait parfois de longs détours avant de reprendre sa trajectoire initiale.
Claire vira sur la droite puis fit un long virage descendant en planant. Elle choisit une des colonnes et s’en approcha jusqu’à ce qu’elle puisse voir de quoi elle se composait. Un horrible frisson la secoua.
La colonne en question était formée de lutins maléfiques et autres Impossibles sombres, griffus et poilus. Tous se dirigeaient vers le nord en faisant parfois de longs détours afin visiblement d’emprunter les chemins les plus discrets possibles.
Les deux jeunes gens suivirent l’étrange procession pendant un temps, jusqu’à son point d’arrivée qu’ils reconnurent.
Ils arrivaient au Yeun-Ellez, l’endroit où ils étaient réapparus tous les deux à l’issue de leur voyage aux enfers. Cette tourbière quasi-désertique, à l’herbe jaune et rabougrie que l’on ne pouvait traverser sans ressentir une étrange inquiétude.
La tradition locale en avait fait le pays de l’Ankou mais également un des accès aux enfers dans une petite mare noire qui s’y trouvait et que l'on appelait le Youdig, petite bouillie en breton.
Depuis la hauteur où ils volaient, Claire et Théo purent voir que ladite mare, si tranquille quand ils y étaient réapparus la veille, s’était mise à bouillir et chaque bulle qui crevait la surface de l’eau noire libérait dans l’air des relents de souffre qui polluaient l’atmosphère environnant.
Toutes les colonnes de créatures maléfiques descendaient dans cette mare sans ralentir ni hésiter, puis disparaissaient. Les deux adolescents en avaient assez vu. Claire piqua vers le sud en direction de la baie de Douarnenez.
Chapitre 2
La jeune fille vola à tire d’aile vers sa maison. De là-haut, elle repéra facilement le Menez-Hom, l’une des deux montagnes sacrées du Finistère, et descendit en piqué vers un champ derrière leur maison pour ne pas risquer d’être vue par qui que ce soit. Théo se cramponna aux plumes de son cou et constata avec plaisir qu’il ne ressentait désormais plus aucune sensation de vertige.
Toutefois le sol se rapprochait très vite, trop vite. Claire étendit ses ailes pour freiner sa descente juste avant d’atterrir mais son manque de maîtrise lui fit mal estimer la distance qu’il lui restait à parcourir avant de toucher le sol. Emportée par son élan, elle trébucha au contact de la terre et roula sur elle-même, éjectant son frère dans une flaque de boue toute proche.
— AOW ! fit-elle en se frottant la tête après avoir repris forme humaine. Théo ! Théo ça va ?
— Ça a l’air, répondit son frère en vérifiant sommairement s’il était en un seul morceau. Sauf que je suis un vrai crado.
Son atterrissage boueux avait certes amorti sa chute mais il l’avait également maculé de terre humide des pieds à la tête.
— Tu exagères, dit malicieusement Claire, il n’y a qu’une seule flaque de boue dans tout le champ et c’est l’endroit que tu choisis pour atterrir.
À peine avait-elle fini sa phrase qu’une motte de boue bien humide venait s’écraser sur son visage. Elle riposta aussitôt et ils furent bientôt aussi sales l’un que l’autre. Réalisant d’un coup ce qu’ils étaient en train de faire, ils se figèrent, s’observèrent et éclatèrent de rire en se laissant tomber dans l’herbe bien grasse.
C’est alors qu’ils entendirent des jappements joyeux avec des bruits de course qui se rapprochaient d’eux. Claire leva la tête et vit leur frère et sœur loups accourir vers eux.
Alors qu’ils tentaient de se relever, les deux animaux leur sautèrent dessus et leur léchèrent le visage avec allégresse.
— Berk ! fit la louve, ce que vous êtes sales !
Les deux adolescents se regardèrent encore avec malice puis entraînèrent leurs loups à rouler dans la boue avec eux.
— Maintenant vous aussi, répliqua Théo.
— QUE SE PASSE-T-IL ICI ? cria une voix depuis la maison derrière eux.
Un homme en sortit et s’approcha de l’entrée du champ. Il regarda attentivement les deux jeunes gens recouverts de boue.
— Claire ? Théo ? C’est vous ?
— PAPA ! crièrent-ils en chœur.
Leur père se précipita à leur rencontre et les serra dans ses bras.
— Mes enfants ! Mes chers enfants ! Vous êtes sains et saufs !
— Tu sais papa, on a grandi. On est plus sans défense ! dit Claire.
Leur mère sortit à son tour de la maison et manqua de les étouffer en les serrant contre elle.
— Vous êtes revenus ! Vous êtes revenus ! parvint-elle à articuler.
Les minutes qui suivirent ne furent qu’embrassades et larmes de joie.
La mère de Claire et Théo les palpaient comme quand ils étaient petits, pour s’assurer qu’ils étaient entiers et réels puis elle les serrait contre elle et recommençait à les palper.
— Tout va bien, maman, dit Théo.
— Oui tout va bien maman, répéta Claire.
— Oui, c’est vrai, tout va bien, vous êtes là. Nous avons eu si peur votre père et moi ! J’ai cru que j’allais devenir folle. Oh vous êtes là et bien là !
— Oui, ils sont là ma chérie, dit le père. Mais tu vas les étouffer si tu continues à les serrer comme ça.
— Je m’en fiche. Ah mes enfants, ne me faites plus jamais une peur pareille !
— Pardon, dit Théo. Tout est de ma faute !
— Non plutôt de la mienne en fait, enchaîna Claire.
— Peu importe désormais, interrompit le père. Mais vous devez avoir plein de choses à nous raconter. Allons ! À la maison tout le monde ! Ces jeunes gens ont d’abord besoin d’une bonne douche et de vêtements propres.
— Ensuite, je suis sûre que vous avez faim ! poursuivit la mère.
— Ça c’est vrai ! répondirent en chœur Claire et Théo.
— Une chose encore, dit le père. Votre absence et la mort de Loïc ont été une véritable épreuve pour votre mère et moi. Heureusement nous n’avons pas été seuls pour la traverser. Kernoun et Oriande sont restés avec nous pendant ce temps pour nous soutenir. Ils sont à l’intérieur. Vous voulez les voir ?
— Oui, répondit Claire. Je dois les prévenir de tout un tas de choses, mais d’abord, comme vous l’avez dit, une douche, des vêtements propres et un bon repas.
En voyant arriver qui ses anciens apprentis, qui ses filleuls, Kernoun et Oriande se précipitèrent dans leurs bras.
Les cors de Kernoun se prirent une fois de plus dans le lustre en cristal de la salle à manger, ce qui obligea le Magister vert à rester figé le temps que les parents retirent un à un tous les pendentifs et les perles qui s’y étaient emmêlés.
Claire et Théo en profitèrent pour s’éclipser prendre une douche et se changer. Lorsqu’ils redescendirent, la table avait été dressée et leurs crêpes préférées les attendaient, toutes fumantes.
— Ce n’est pas très recherché mais je voulais vous faire plaisir le plus vite possible, dit la mère.
— C’est super maman, répondirent les jeunes gens en s’attablant avec impatience.
La façon dont ils dévorèrent leurs crêpes finit de rassurer leurs parents qui se contentèrent de les regarder pendant tout le repas, tandis que Kernoun faisait lui aussi honneur à la table sous l’œil légèrement réprobateur d’Oriande. En tant que fée, elle avait du mal à comprendre l’intérêt d’une telle gloutonnerie.
— Vous avez l’air en très bonne santé pour des apprentis sortis des enfers, finit-elle par dire, jugeant sans doute que le repas avait assez duré.
— Des apprentis damnés, précisa Théo en finissant sa crêpe au chocolat.
Sa mère laissa tomber une assiette qui se fracassa en mille morceaux dans un grand bruit.
— Pardon ? demanda Oriande stupéfaite.
La stupeur avait figé tout le monde sauf Claire.
— Ex-damnés, du moins je crois, précisa-t-elle à son tour.
— Dites-nous ce qui s’est passé, déclara le père sur un ton soupçonneux qui ne souffrait pas de réplique.
Théo commença pendant que Claire finissait sa crêpe puis la jeune fille prit la relève en racontant dans le détail sa traversée du pays des morts, son arrivée aux enfers, les aventures qu’elle y avait vécues, comment elle avait retrouvé Théo et pour finir, leur rencontre avec Lucifer puis leur quête du Graal.
— Vous avez trouvé le Graal ? Rien que ça ! dit leur père impressionné.
— Vous avez détruit la pilule ? demanda Kernoun.
— Et vous avez bien fait ! dit Oriande. Votre raisonnement était le bon. Si cela peut vous rassurer. Vos auras ne sont pas celles de damnés donc tout va bien de ce côté-là. Toutefois, traverser les enfers en y pratiquant la magie ne peut pas être anodin. Rappelez-vous que toute magie laisse des traces. La magie noire n’y fait pas exception. Au contraire !
— Mais je n’ai pas fait de magie noire ! protesta Claire. Le Numineux que j’utilisais provenait de ma propre énergie et d’Excalibur.
— Certes, mais la magie attire la magie. Les enfers baignant dans la magie noire, vous en aurez peut-être absorbé un peu sans vous en rendre compte. Il faudra rester sur vos gardes et vous surveiller l’un l’autre jusqu’à ce qu’une utilisation normale du Numineux vous ait purgé complètement des traces éventuelles.
— Soit, dit Claire, mais maintenant vous devez savoir ce que j’ai vu là-bas : les légions démoniaques se préparent à l’action. Ici, nous avons pu observer des colonnes d’êtres maléfiques qui rejoignaient le Yeun Ellez où se trouve un accès aux enfers. Il faut faire quelque chose !
— Dame ! intervint Kernoun. Les légions démoniaques, des colonnes de crrréaturrres maléfiques qui rrrépondent à un appel ! Cela me rrrappelle la descrrrription de l’Apocalypse !
Tout le monde perdit sa jovialité d’un seul coup !
— Effectivement, dit Oriande. La situation est grave. Je vais devoir retourner à Tir-Na-Nog afin de prévenir tout le monde.
— Moi je vais aller à Arcana averrrtirrr Ganieda.
— C’est une excellente idée souligna Claire. Demande-lui aussi de prévenir les directeurs des autres écoles. Une attaque se prépare. Je ne sais pas quand, ni où elle se produira mais nous devons être sur nos gardes. À elles seules, les armadas des légions infernales sont déjà impressionnantes mais en plus, les démons battent le rappel de tous leurs alliés.
Un voile passa devant les yeux de Claire lorsqu’elle se rappela que le propre père de son amie Lélolia, celle qui avait donné sa vie pour la sauver, s’était allié aux démons de la légion bleue.
— Il ne nous rrreste plus qu’à partirrr. Et à vous rrremerrrcier de votrrre hospitalité chèrrre madame, déclara Kernoun à la mère des deux jeunes gens.
— C’est nous qui devons vous remercier, répondit-elle. Sans vous nous serions sans doute devenus fous. Vous nous avez été d’un vrai réconfort, tous les deux.
Kernoun et Oriande inclinèrent la tête en signe de remerciement puis sortirent de la maison, la figure grave.
Chapitre 3
Durant les jours qui suivirent, les parents de Claire et Théo s’appliquèrent à leur proposer toutes sortes d’activités pour leur faire oublier un peu les épreuves qu’ils venaient de traverser.
L’absence de Loïc, leur vieux voisin, se faisait souvent ressentir. Toutefois, Claire avait pris le temps d’aller voir son épouse et de lui expliquer qu’il était désormais au Paradis et que nul ne pouvait actuellement être plus heureux que lui. Cela rassura un peu la vieille femme et contribua à apaiser sa souffrance. Les parents lui proposèrent de venir participer à leurs sorties, mais elle préféra rester seule.
Pendant toute une semaine, Claire et Théo n’eurent aucune nouvelle des écoles de magie et de Tir-Na-Nog. Ils allèrent au cinéma, à la plage dès que la météo le permettait, en promenade…Bref, ils firent tout pour se changer les idées.
C’est en revenant d’une de ces balades avec leurs parents et leurs loups qu’ils remarquèrent que quelqu’un les attendait devant chez eux. Sa silhouette était longue et sa tête recouverte par une large capuche qui dissimulait ses traits.
Claire se reprocha intérieurement d’avoir manqué de prudence en emportant pas Excalibur. Les loups reniflaient l’air avec inquiétude ; le visiteur avait une odeur qu’ils ne reconnaissaient pas. Tout le monde préférait rester à distance quand la silhouette les aperçut à son tour. Elle leur fit signe de s’approcher mais Claire retint ses parents.
— On accumule du Numineux, dit-elle à Théo, au cas où…
Les deux jeunes gens se concentrèrent puis se mirent à briller légèrement.
En constatant ce qui se passait, la silhouette se dirigea vers eux et abaissa sa capuche, découvrant une tête reptilienne que Claire et Théo reconnurent : Saurus ! Prince des magisters et directeur de l’école des Supras.
— Votre altesse ! dirent-ils en inclinant la tête quand Saurus arriva devant eux.
— Bonjour à vous toussss, répondit le reptilien. Je sssuis heureux de conssstater à mon tour que vous êtes sssains et sssaufs jeunes gens. Pourrions-nous entrer ? Les autres ne vont pas tarder à arriver.
— Les autres ? demanda le père.
— Oui je me sssuis permis de demander aux directeurs des différentes écoles de magie de me rejoindre icccci pour une réunion au sssommet. La sssituassssion l’exige. J’essspère que ccccela ne vous dérange pas.
— Pas du tout, nous sommes heureux de pouvoir être utiles, répondit la mère. Je vais préparer des rafraîchissements.
Son mari sourit intérieurement devant l’intelligence pratique de son épouse. Il la connaissait bien : préparer des rafraîchissements lui permettrait d’avoir une excuse pour venir à la réunion afin d’obtenir des informations sur ce qui se préparait. Bien joué !
Fort heureusement, le domicile de Claire et Théo était un peu à l’écart car les arrivées des participants à la réunion de Saurus sortaient de l’ordinaire.
Tout d’abord, sans crier gare, un arbre se mit à pousser à une vitesse incroyable dans la cour de la maison : un magnifique hêtre qui, en quelques secondes parvint à des dimensions pour lesquelles en temps normal il aurait fallu plusieurs centaines d’années. Chose plus étrange encore, en plein milieu de son tronc se trouvait une porte qui s’ouvrit et permit à Ganieda Myrdina, la directrice d’Arcana, l’école de la magie verte, celle de la terre, de sortir.
Son visage était fermé, plus fermé que d’ordinaire. Elle entra dans la maison après un bref salut juste poli à Claire et Théo qui étaient sortis pour l’accueillir.
Il y eut ensuite une grenouille rainette qui sauta hors du ruisseau coulant derrière la maison. Personne ne l’aurait remarqué si elle ne s’était pas mise à grandir jusqu’à prendre la taille d’un autobus. Sur son dos, une coupole de verre se souleva puis un escalier en corail se déroula jusqu’au sol afin de permettre à Viviane, Dame du Lac et directrice d’Aqualia, l’école de la magie bleue, celle de l’eau, de descendre. Sans cérémonie, elle ouvrit ses bras en voyant Claire qui venait à sa rencontre avec Théo.
— Ma chère enfant ! Quel bonheur de constater moi-même que tu es saine et sauve ! dit-elle.
Claire se précipita dans ses bras.
— Si tu savais comme j’ai eu peur pour toi ! insista Viviane.
— J’ai eu peur moi-aussi, mais je m’en suis sortie. Je vous avais bien dit que je ramènerai mon frère.
— C’est vrai, tu me l’avais dit. J’ai toujours su que tu étais pleine de ressources. C’est donc toi Théo ! dit Viviane en se tournant vers le frère de Claire. J’ai beaucoup entendu parler de toi.
— Je comprends, répondit Théo. Je dois admettre que j’ai fait pas mal d’âneries ces derniers temps.
— Sois sûr que personne ne te tient grief de quoi que ce soit, mon garçon. Tu as été trompé, voilà tout !
— Merci madame pour votre compréhension. Ma sœur n’avait pas menti concernant votre gentillesse. Si seulement tous les directeurs étaient comme vous !
— Cette remarque me va droit au cœur, crois-le bien ! Mais trêve de bavardage. Le voyage a été éprouvant et la journée n’est pas finie.
— Vous avez eu des soucis sur le trajet ? demanda Claire.
— Vois-tu, j’avais rétréci ma rainette pour pouvoir emprunter les rivières et les ruisseaux afin d’arriver plus vite devant chez toi. C’était pratique, mais je n’avais pas prévu qu’un brochet serait assez insolent pour tenter de nous gober. Il s’est montré insistant jusqu’à ce que je lui envoie une décharge de Numineux dans l’œil. À propos de Numineux, Merlin t’envoie le bonjour. Il se réjouit autant que moi de te savoir en bonne santé ma chère Claire. Il n’a pas oublié tout ce qu’il te doit.
— Transmettez-lui également mes salutations et mon souvenir amical, répondit l’adolescente. Maintenant si vous voulez bien me suivre, je vais vous conduire à Saurus.
Théo resta donc seul dans la cour de la maison. C’est à ce moment-là qu’il vit un point noir grossir dans le ciel. Il dut attendre un peu avant de pouvoir observer qu’il s’agissait d’un attelage de six grues cendrées qui tiraient un tapis volant sur lequel se trouvait quelqu’un.
L’étrange équipage faisait de larges cercles dans le ciel, cherchant quelque chose, sans doute l’endroit où il devait atterrir. Théo se concentra pour accumuler du Numineux puis lança un rayon de lumière rouge droit vers le ciel. Les grues virèrent pour revenir à sa verticale. Elles effectuèrent un premier passage à basse altitude afin de voir d’où venait le rayon puis, comme Théo leur faisait de grands signes pour leur montrer où atterrir, elles revinrent et se posèrent délicatement dans le champ derrière la maison.
Sur le tapis se trouvaient trois sièges : trois fauteuils de salon qui semblaient très confortables. Les deux derrières étaient vides. Par contre, le siège avant était occupé par un personnage que Théo avait déjà vu lors de son passage devant la commission d’entrée à Arcana : une sorte d’homme-papillon à la silhouette fine. Deux grandes ailes multicolores bougeaient sur son dos. Il portait un vieux casque de pilote en cuir d’où sortaient deux antennes au niveau du front, qui surplombaient une paire de lunettes entourant la tête avec un gros élastique.
Les cheveux qui dépassaient de son casque étaient longs et argentés. Il était vêtu comme un pilote d’avion de la première guerre mondiale : des bottes en cuir noir avec un pantalon bleu clair près du corps, un blouson également en cuir mais blanc et une longue écharpe légère de couleur sable.
Sans doute était-il le directeur d’Éolia, l’école de la magie jaune, celle de l’air. Il sortit de son siège et s’envola pour venir se planter devant un Théo stupéfait, qu'il observa en détail des pieds à la tête, après avoir relevé ses lunettes.
— Bonjour jeune homme. Vous devez être Théo, l’apprenti Supra. Vous pouvez fermer la bouche. Vous n’avez pas encore l’habitude de voir des elfes mais ça viendra, croyez-moi. Je suis Zéphyrus, directeur d’Éolia. Auriez-vous l’obligeance de m’indiquer où je dois me rendre afin de retrouver Saurus ?
Cet être dégageait tant de fraîcheur et de légèreté ! Théo, après tous les événements si lourds qu’il venait de traverser ne sut pas comment se comporter face à cette créature. Il se contenta de lui indiquer la porte de la maison en continuant de le regarder un peu bêtement.
Zéphyrus sourit et s’envola dans la direction montrée. Théo réalisa qu’il aurait été mieux de l’accompagner au lieu de rester planté là sans rien faire. Le prochain arrivant devrait être Ignacio, le directeur de Pyrosia et moins il le verrait mieux ça serait. Théo se précipita donc vers la maison et parvint à la porte avant Zéphyrus.
— Je vais vous accompagner, dit-il à ce dernier.
— Merci jeune homme, c’est très aimable à vous.
À l’intérieur, Ganieda et Viviane étaient déjà installées autour de la table de la salle à manger. La mère de Claire et Théo s’affairait dans la cuisine pendant que leur père discutait avec Saurus à voix basse.
— Nous n’attendions plus que vous, déclara ce dernier en constatant l’arrivée de l’elfe. Nous allons pouvoir commenccccer. Claire, Théo ! Nous allons aussssi avoir besoin de vous. Vous assisssterez donc à la réunion.
Chapitre 4
Saurus prit place au bout de la table, signalant ainsi que la réunion allait débuter. Théo semblait être le seul à s’étonner de l’absence d’Ignacio Braséro le directeur de Pyrosia et son dernier mentor pour la magie rouge, mais il ne souffla mot et s’installa à côté de Claire.
— Bien, dit Saurus, avant que chacun me rende compte de la sssituatttion de ssson établisssement, je crois que l’apprenti Supra Claire, ici présente, a des informations de la plus haute importance à nous communiquer. Nous t’écoutons jeune fille !
Claire se leva.
— Votre altesse, mesdames, monsieur. Vous savez tous ce qui s’est passé lors du dernier tournoi inter-écoles de polomage. Cela a eu pour conséquence l’enlèvement de mon frère, Théo, par le démon Trépass et sa métamorphose forcée en destrier infernal jusqu’à ce que je le retrouve. Je reconnais une part de responsabilité dans ces événements et me déclare prête à en assumer les conséquences que vous voudrez bien décider.
— De même pour moi, déclara Théo en se levant à son tour.
Saurus leva la main pour les interrompre.
— L’ouverture de la porte des enfers a été une terrible bêtise dont les dégâts ont fort heureusement pu être limités. Après avoir consulté les différentes directions, j’ai décccidé que vous aviez été asssez punis. Quant à ton entêtement irraisonné pour te rendre aux enfers jeune demoiselle, les faits t’ont finalement donné raison puisque tu reviens avec des rensssseignements de première main. Tu ne ssseras donc pas punie pour cccela non plus. Abordons maintenant ccce qui sss’est passsé.
Claire raconta encore une fois dans le détail comment elle et son vieux voisin avaient piégé l’Ankou pour l’obliger à l’emmener elle aussi au royaume des morts afin de pouvoir rejoindre les enfers.
— Tu t’es donc faite obéir de l’Ankou et tu as traversé le royaume des morts ? demanda Saurus en prenant des notes.
— Oui votre altesse, ce qui a entraîné l'effacement de mon nom sur les registres de l'Anaon, répondit Claire.
Saurus fut surpris par cette dernière information, mais il se reprit. Claire expliqua ensuite comment, avec ses loups, ils se sont transformés en horreurs démoniaques. Théo remarqua un tic d’inquiétude aux coins de la bouche de chacun des directeurs lorsque sa sœur raconta ce qui s’était passé.
— Comment as-tu pu pratiquer la magie aux enfers ? demanda Zéphyrus plus inquiet que les autres. Seule la magie noire y est possible puisque le Numineux y est introuvable.
— J’avais mon propre Numineux. J'avais avalé une pépite d'orichalque et suite à l'effacement de mon nom des registres du royaume des morts, mon âme a été liée à mon corps, me fournissant du Numineux en permanence.
Les antennes de l’elfe s’agitèrent fébrilement. Son inquiétude grandit et il tourna un regard interrogateur vers Saurus.
— Votre Altesse, la scolarité à Éolia me semble un peu prématurée, lui dit-il.
— Je comprends votre réserve Zéphyrussss.
Puis s’adressant à Claire :
— Nous ne savons pas encore quelles ssseront les conssséquenccces de l’utilisation de la magie que tu as faite aux enfers.
— Je ne le sais pas non plus, dit la jeune fille. Pour l’instant je n’ai rien remarqué, mais je compte sur mon frère pour me dire s’il décèle quoi que ce soit.
Théo opina de la tête en vue de montrer qu’il savait quelle était sa responsabilité dans ce domaine désormais.
— Cccc’est noté, déclara Saurus. Zéphyrusss je penssse qu’ils ont mérité qu’on leur accorde une chanccce.
Le directeur d’Éolia acquiesça.
— Maintenant jeune fille, reprit le directeur des Supras, parle-nous des légions.
Claire essaya d’être aussi précise que possible. Elle répéta dans le détail tout ce qu’elle avait vu aux enfers : chaque légion semblait correspondre à un type de magie particulier avec des matériels spécifiques. Devant la puissance démoniaque décrite par l’adolescente, un frisson parcourut les participants à la réunion. Seul Saurus demeura impassible.
— Chose étrange, précisa Claire, il n’y avait pas de légion rouge. Je n’en ai pas vue.
— Ccce n’est pas sssi étrange que cccela. Pyrosia est tombée de l’intérieur. Les technos se sont alliés aux démons et ont pris le contrôle de l’école sssans coup férir, exterminant les salamandres et réduisant les Igniens en esclavage. D’ailleurs puisssqu’on en parle, pourrai-je avoir un point sssur la sssituation des autres établissements ? Ganieda, que ssse passse-t-il chez vous ?
— Arcana est sur le point de tomber. Les statues des rois nains ont défendu l’école suffisamment longtemps pour permettre aux apprentis de s’enfuir par le réseau de grottes sous notre montagne. Toutefois malgré mon aide et celle des mentors qui ont voulu rester, nous ne faisons pas le poids face à la légion verte et à ses supplétifs. Notre Agrippa s'est libéré de ses liens et a disparu.
— L’invasion a donc débuté. Il est plus tard que je ne le croyais. Et vous Dame Viviane ?
— Aqualia est également sur le point de tomber sous les coups de la légion bleue aidée par le peuple des Morgans. Tout le monde s’est enfui et j’ai pu mettre Merlin en sécurité mais mon palais de cristal est détruit et notre Agrippa s’est fait capturer par des golems d’orichalque alors qu’il tentait de s’enfuir.
Le visage de Saurus se crispa, trahissant son inquiétude grandissante.
— Zéphyrusss ?
— Éolia n’a pas encore été touchée. Je me fais une joie d’accueillir tout le monde même si vous savez que mon espace est limité.
— Ccc’est généreux de votre part mais je demande à ccceux qui n’ont plus d’endroit où aller de rallier l’école des SSSupras. Nous devons nous regrouper pour contre-attaquer et reprendre l’avantage.
— Et nous, votre altesse ? demanda Théo.
— Vous devez continuer votre scolarité. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous passser de deux futurs SSSupras. Vous allez donc vous rendre à Éolia avec Zéphyrusss dès la fin de cette réunion sssi et sseulement sssi vos parents sssont d’accord.
— Mais ils viennent à peine de revenir, intervint la mère qui servait des boissons.
— Ccc’est exact madame, rappelez-vous toutefois que leur sssécurité est intimement liée à la puisssanccce qu’ils vont acquérir. Plus ils ssseront formés aux différentes magies et mieux ils pourront ssse défendre.
La mère baissa la tête et repartit dans la cuisine, bientôt rejointe par son époux pour la réconforter. Ils savaient tous deux que Saurus avait raison, mais l’accepter revenait à laisser leurs enfants repartir pour faire face à des dangers dont ils n’avaient même pas idée. Et pas des moindres cette fois. Le mot « apocalypse » avait été lâché. Ils se sentaient complètement dépassés.
— Votre Altesse, pourrai-je poser une question ? demanda Théo.
— Je t’écoute.
— Voilà j’ai été transformé puis je suis demeuré longtemps sous ma forme de destrier infernal. Si longtemps qu’il m’a fallu un moment pour retrouver tous mes souvenirs lorsque j’ai été à nouveau moi. Mais depuis je ne parviens plus à me métamorphoser en quoi que ce soit.
— Ccce n’est pas étonnant. La durée de ta transformation a dû causer des changements irréversibles sur ton être le plus profond. Tu ne corresssponds sssans doute plus à ton précccédent vrai nom.
— Mais…mais comment vais-je faire dans ce cas ?
— Tous les vrais noms sssont dans les Agrippas. Tu n’auras qu’à interroger cccelui d’Éolia. Je ne ssssaurais trop vous conssseiller de ne pas trop tarder. L’avenir est sssombre et incccertain. On ne sssait pas si Éolia va ressster à l’abri des événements longtemps.
À cet instant, une voix paniquée résonna dans l’entrée de la maison :
— SAURUS ! SAURUS !
Les participants à la réunion se levèrent comme un seul homme pour aller voir ce dont il s’agissait.
La fée Oriande était apparue sur le grand miroir de l’entrée sous les porte-manteaux. Derrière elle, au loin, Drakenbourg brûlait sous les assauts de Draken, le dragon que Claire et Théo avaient réussi à maîtriser lors de leur test d’évaluation à la Magie. Tout le monde se figea de stupeur devant ce terrible spectacle.
— Que ssse passse-t-il ? finit par demander Saurus.
Oriande n’arrêtait pas de regarder derrière elle avec inquiétude.
— Tir-Na-Nog subit une attaque d’envergure. Draken le dégénéré a attaqué Drakenbourg par surprise et comme vous pouvez le voir, il est en train de tout détruire.
— Le sale parjure ! s’exclama Théo. Il avait promis de se tenir à carreaux. Et sur son cœur en plus !
— Justement, répondit Claire. Nous avions confié son cœur aux Morgans et ils se sont alliés aux démons. Ils ont donc dû lui rendre. Draken n’a plus de raison de tenir sa promesse.
— Draken n’est pas notre seul problème, poursuivit Oriande. Il est aidé par les Morgans mais aussi par une armée de golems d’orichalque qui se multiplient au moindre problème. Nous ne pourrons pas résister longtemps.
— Je ne vois qu’une sssolutttion, répondit Saurus. Venez vous réfugier à l'école des Sssupras en attendant que la sssituatttion évolue.
Oriande allait répondre quelque chose mais la communication se coupa brusquement.
C’est alors qu’un grand choc secoua toute la maison ! Un tremblement de terre !
Tous se précipitèrent à la fenêtre pour voir ce qui se passait. Les deux loups dans la cour grognaient, le dos hérissé vers la route qui passait devant la maison. Une des trois collines bordant la route était en train de se soulever sous la poussée d’un géant qui semblait se réveiller d’un long, très long sommeil.
La créature, haute d’environ 15 mètres, se dressa face à la maison. Les deux enfants remarquèrent tout de suite qu’elle avait les yeux blancs et que certaines parties de son corps étaient à un stade de décomposition avancée, laissant voir des os. À ses pieds, une silhouette féminine vêtue de noir avec des yeux rouges luminescents faisait de grands signes au géant en lui montrant leur maison.
Le géant s’avança vers l'habitation d’un pas traînant mais inexorable.
— SSSORTEZ, SSSortez TOUSSS !! cria Saurus.
— Pas question, répliqua Claire. Théo et moi sommes suffisamment forts pour affronter un géant. Ce n’est pas le premier à qui nous avons à faire.
Saurus fit un léger signe du doigt et ce fut comme si la maison elle-même expulsait Claire et Théo. Tout le monde se regroupa en contre-bas, dans le champ derrière. Ils assistèrent, impuissants, à la destruction du domicile de la famille sous les coups du géant qui s’amusa à tout arracher, puis ils allèrent se mettre à l’abri d’un bosquet d’arbres.
Claire se dirigea vers Saurus d’un pas décidé.
— Pourquoi ne pas nous avoir laissés l’affronter ? J’aurais pu, nous aurions pu le vaincre avec Théo, dit-elle énervée.
— Connais-tu le vrai nom des géants ? demanda Saurus.
— Non.
— Ccce sssont des êtres primordiaux. Seule la magie la plus puisssante fonctttionne contre eux. Tu n’as pas encore le niveau jeune impatttiente. En outre, n’as-tu pas remarqué comme moi ses yeux tout blancs et son teint verdâtre ?
— Si mais… votre altesse, vous voulez dire…
— Ccc’était un zombie ! Un géant zombie ! Il faut une quantité considérable de magie noire pour réanimer le corps d’un géant. Nous ferions mieux de ne pas ressster là. Un Sssupra des ténèbres est dans les parages et cherche à vous atteindre toi et ton frère. Partez avec Zéphyrusss. Je vais emmener vos parents en sssécurité après m'être occupé du géant.
— Mais… nos loups… commença Théo.
— Il n’y a pas de placcce pour eux là où vous allez, autorisez-les à repartir dans la forêt, ils y ssseront nos yeux et nos oreilles.
Claire et Théo se regardèrent. Saurus avait raison mais ils avaient passé tellement de temps avec leurs frères des bois. Était-ce le temps de la séparation ?
Les deux loups s’étaient approchés, la tête et la queue basses.
— Vous avez compris que nous ne pouvons pas vous emmener ? demanda Claire.
Les animaux opinèrent de la tête.
— Ça me fend le cœur, dit Théo, cependant, Saurus a raison, vous devez repartir dans la forêt. Vous y serez plus utiles pour la guerre qui se prépare. Nous n’avons plus de maison et nos parents vont être mis à l’abri. Nous avons besoin de quelqu’un pour nous tenir au courant de ce qui se passe sous les futaies.
— Je les prends avec moi, dit Ganieda Myrdina. Je les confierai à Kernoun.
— Ce n’est pas un adieu, reprit Claire, juste un au revoir.
— Promis, renchérit Théo.
— Faites bien attention à vous, leur dirent les loups.
Ils leur léchèrent le visage puis suivirent la directrice d’Arcana.
Saurus fit un geste à Zéphyrus, l’elfe directeur d’Éolia, qui s’envola puis revint quelques instants plus tard avec son attelage. Les grues étaient allées se mettre à l’abri des nuages lorsque le géant avait commencé à s’approcher de la maison.
Claire et Théo allèrent voir leurs parents.
— Vous devez déjà repartir, soupira la mère.
— Oui mais nous reviendrons le plus vite possible, dit Claire.
— Je n’ai même pas eu le temps de préparer vos sacs.
— Moi si, dit le père en leur faisant un clin d’œil. Tenez, prenez-en soin !
Les deux adolescents ne saisirent pas l’allusion. Ils embrassèrent leurs parents puis s’installèrent dans les deux sièges à l’arrière du tapis de Zéphyrus.
— Vous ne savez pas voler, du moins sous votre vraie forme, je crois, leur demanda-t-il.
— Non, répondirent les deux adolescents en chœur.
— Dans ce cas, attachez vos ceintures, ça va secouer !
Ils eurent à peine le temps de le faire que les grues s’envolèrent en tirant le tapis d’un coup sec, les plaquant contre le dossier de leurs fauteuils.
Chapitre 5
L’attelage de grues monta rapidement pour se réfugier au-dessus des nuages. Voyant que sa sœur souffrait du froid, Théo se serra contre elle. Depuis son passage à Pyrosia, sa température interne faisait de lui un vrai radiateur.
— Merci, dit Claire.
Elle regarda autour d’elle pour vérifier qu’ils ne couraient plus aucun danger puis se laissa sombrer dans un sommeil réparateur.
Les derniers jours l’avaient définitivement convaincue que toute possibilité de repos devait être exploitée. La guerre qui s’annonçait ne leur laisserait sans doute pas beaucoup de répit.
Zéphyrus tourna la tête vers eux, puis, constatant que Claire dormait, s’adressa à Théo.
— Et toi tu ne veux pas dormir ?
— Non monsieur, je suis trop curieux de ce qui nous attend dans votre école.
— Curieux ?
— Ben en fait je crois que j’ai le trac.
— Toi le trac ? C’est bien toi qui as vaincu un dragon, non ? C’est bien toi qui es revenu des enfers avec ta sœur ? Éolia sera ta troisième école de magie et tu as le trac ? Si tu veux, nous pouvons profiter du voyage : pose-moi toutes les questions qui te passent par la tête.
— Je ne sais pas trop par où commencer.
— Dans ce cas, c’est moi qui vais commencer. Que sais-tu de la magie jaune ?
— C’est la magie liée à l’air. Je suppose qu’elle fonctionne comme les autres n’est-ce pas ?
— Tout à fait, le TRIBAMA est identique. La magie jaune permet de lancer des sorts et de connaître le vrai nom des créatures aériennes. Elle permet également de contrôler les nuages et les vents, donc d’influencer le temps qu’il fait.
— On apprend à voler ?
— Oui, mais avec l’aide d’une créature au début car les humains ne sont pas prévus pour voler à l’origine. Vous n’avez pas d’ailes et votre squelette est trop lourd. Seuls les vieux magisters jaunes y parviennent lorsque l’utilisation de la magie de l’air a laissé suffisamment de traces.
— Certes mais on peut aussi se transformer en créature volante non ? Ce serait plus pratique.
— Effectivement et cela reste le test final de la scolarité à Éolia, toutefois, avec tous les risques que cela implique : ne pas rire ni rester trop longtemps sous cette forme sous peine de perdre son égo.
— Je connais, dit Théo.
— Ah oui, pardon, j’oubliais. Toi et ta sœur êtes vraiment des cas particuliers.
— D’ailleurs nous nous sommes déjà transformés en créatures volantes.
— Vous n'aurez donc aucun mal à le refaire. Vous avez un avantage sur les autres apprentis qui ne savent pas ce qu’est voler quand ils arrivent.
— Et le test intermédiaire alors, c’est aussi un match de polomage ? Sur une créature volante ?
— Un impossible qu’il faut apprendre à maîtriser oui.
— Est-ce qu’un griffon ça compte ?
— Là tu veux sans doute parler de votre test d’aptitude à la Magie ? Et bien je suppose que oui, toutefois je suis sûr que tu ne seras pas contre un bon match !
— C’est-à-dire que la dernière fois, ça s’est plutôt mal terminé.
— Je sais mais ta sœur et toi serez dans la même équipe cette fois. Tu dois surmonter ce qui s’est passé ces derniers mois.
— Je vous promets d’essayer. Vous avez beaucoup d’Impossibles à Éolia ?
— Quelques-uns, leurs écuries sont sous l’école.
— Ils volent tous ?
— Non, certains sont présents uniquement parce qu’ils crachent de l’eau ou du feu. Cela permet d’apprendre aux apprentis à voler dans un environnement hostile. Au début, ils doivent éviter les jets d’eau et plus tard quand ils sont prêts, les jets de flammes.
— Waow ! Vous ne rigolez pas dites-moi !
— L’apprentissage de la magie jaune demande autant de sérieux que n’importe quel autre.
— Puis-je vous poser une question, disons… plus… euh… personnelle ?
— Vas-y.
— Vous êtes quoi exactement, je n’avais encore jamais vu quelqu’un comme vous.
— Je suis un elfe, répondit Zéphyrus en souriant devant tant de franchise.
— Il y a donc des elfes dans le monde de la magie ?
— Oui et nous sommes même assez nombreux. Nous sommes l’équivalent des fées mais pour l’air. Nous aussi nous ne sommes constitués que de Numineux. La forme de nos ailes diffère selon la catégorie d’elfe à laquelle nous appartenons. Cela va des elfes avec des ailes de mouche jusqu’aux elfes à ailes de papillon. Comme tu as pu le constater j’appartiens à cette dernière catégorie. Nous différons simplement par la quantité de Numineux que nous avons en nous.
— Y-a-t-il d’autres peuples liés à l’air, comme par exemple les sylviennes pour la terre ou les lumerottes pour le feu ?
— Tu veux sans doute parler des élémentaux. Pour l’air, ce sont les sylphes. Tu les reconnaîtras facilement : ils ont une forme humaine mais sont transparents. Leur légèreté et leur inconsistance les obligent à se mettre à plusieurs pour bouger quelque chose. Ils se déplacent donc toujours en groupes ou plus exactement en grappes.
— Alors je suppose qu’il y a aussi un petit peuple lié à l’air.
— Tout à fait. Nous les appelons les chevaucheurs de nuages, parce que c’est ce qu’ils font de mieux.
— Ils sont cools ? Euh je veux dire… sympathiques ?
— En fait, ils ont leurs propres règles. On ne sait jamais vraiment quelle va être leur réaction. Mais ils sont très utiles pour rassembler les nuages rapidement si tu parviens à t’attirer leurs bonnes grâces, un peu comme des bergers. Peux-tu réveiller ta sœur ? Nous n’allons plus tarder à arriver.
Théo aperçut au loin un point noir dans le ciel, qui grandissait à vue d’œil. Il vit ensuite un reflet brillant à la surface supérieure de ce point noir. Au fur et à mesure qu’ils se rapprochaient, le point noir grossit pour devenir un rocher flottant dans les airs.
La surface du rocher brillait toujours. Claire était maintenant réveillée.
Zéphyrus reprit la parole :
— Vous connaissez l’histoire de la magie n’est-ce-pas ? Vous avez dû l’apprendre lors de votre cursus à Arcana. Éolia était construite sur terre à l’origine, mais l’usage de la magie jaune a entraîné l’arrachement de la portion de terrain sur laquelle elle se trouvait, et depuis, elle dérive dans les airs. Cela ne dérange pas nos apprentis, il y a très peu d’humains en général. Dans ce domaine encore, vous ferez exception.
Éolia était maintenant visible. Il s’agissait d’un énorme dôme transparent surmonté par une statue que les deux adolescents ne voyaient pas encore tout à fait. Seule la couleur de cette statue leur était familière.
— La statue au-dessus de l’école, elle est en orichalque non ? demanda Théo.
— Tout à fait, c’est une statue de celui qui a pris le Liber Secretarum pour le donner aux premiers hommes. Cela vous dit quelque chose ?
— Oui, répondit Claire, le Liber Secretarum ou livre des secrets, avait été écrit de la main même de l’Être Suprême. L’ensemble de son texte reflétait la volonté de l’Être Suprême et les secrets de l’univers. Un de ses fils l'a pris puis l’a donné au premier homme quand il a été chassé du Paradis. Le livre est devenu le Liber Mundi ou livre du monde.
— Très bien, dit Zéphyrus. Vous semblez avoir parfaitement assimilé vos cours de base. Mais savez-vous pourquoi le Liber Secretarum est devenu le Liber Mundi ?
Les deux adolescents haussèrent les épaules en signe d'ignorance.
— Le Liber Secretarum était le livre ultime, composé des connaissances de l'Être suprême et de sa volonté. Lorsque l'Être suprême s'est rendu compte du vol, il a dissocié les deux afin de réduire la puissance du livre.
— Le Liber Secretarum sans la volonté de l'Être suprême est devenu le Liber Mundi ? demanda Théo.
— C'est cela, vous avez compris.
— Puisqu’on en parle, reprit Claire. Je suppose que vous avez un Agrippa dans l’école.
— Pas tout à fait. Il n’est pas dans l’école. L’Agrippa de l’air n’a jamais pu être dompté ni enfermé. Nous avons passé un accord avec lui. Il nous aide et ne s’éloigne jamais trop d’Éolia. En échange, nous le nettoyons et prenons soin de lui lorsque les oiseaux ou l’usure le nécessitent.
— Et il est digne de confiance ? demanda Théo. En général, ils cherchent tous à s’échapper.
— Il a toujours respecté sa parole. L’Agrippa de l’air est particulier. Lui, contrairement aux autres, ne cherche pas à reconstituer le Liber Mundi, il tient trop à sa liberté.
Claire et Théo voyaient maintenant la statue en forme de dragon qui surplombait le dôme d’Éolia. La position de ses pattes et de ses ailes indiquait qu’il semblait vouloir la protéger ou l’abriter.
— Si c’est de l’orichalque, la statue doit aider à accumuler du Numineux non ? demanda Théo.
— Exact, se contenta de répondre Zéphyrus.
— C'est marrant, cette statue ! Elle me rappelle Lucifer, dit Claire. Lorsqu'il a voulu nous effrayer.
— Mais oui, tu as raison, répondit son frère.
— C'est normal, dit Zéphyrus. C'est bien de lui dont il s'agit, mais rassurez-vous c'est le seul lien que nous avons conservé avec lui.
Éolia se rapprochait. Ils pouvaient voir maintenant qu’elle était constituée de dizaines, non de centaines d’alvéoles, comme une ruche, d’où entraient et sortaient de petites silhouettes sombres, pareilles à des abeilles.
Plus près, ils parvinrent à distinguer des groupes d’apprentis et de mentors en plein cours. Des élèves, de toutes les races, chevauchaient diverses créatures volantes alors que les mentors, des elfes, se servaient de leurs propres ailes. Pas un seul humain à l’horizon.
Devant l’école se trouvait une étendue verte caractérisée par deux anneaux de pierres : le terrain de polomage.
Des pontons accueillaient des dirigeables ou des bateaux dont les voiles étaient remplacées par des ballons. Les équipages chargeaient ou déchargeaient des caisses, des malles et des valises de toutes sortes.
La sensation d’activités augmentait au fur et à mesure qu’ils se rapprochaient.
Des nuages passèrent à côté. Claire et Théo purent voir que des petits êtres les chevauchaient, tirant sur des rennes qui allaient se perdre dans la masse blanche et cotonneuse. Théo se risqua à leur faire un petit signe de la main mais aucun ne daigna lui répondre.
Zéphyrus guida l’attelage vers un emplacement disponible et s’y amarra.
Les deux adolescents descendirent en faisant craquer le bois du ponton puis ils se rendirent sur la surface du rocher flottant dans les airs. Ils traversèrent le terrain de polomage en regardant avec méfiance les deux cercles de pierres qui servaient de buts. Ils savaient désormais que chacun était un passage vers les enfers. Zéphyrus était perdu dans ses pensées.
— Comment vous sentez-vous ? demanda-t-il après un moment à Claire et Théo. Vous avez faim ?
— Non merci, nous sommes pressés de prendre possession de nos chambres à vrai dire, répondit Claire.
— Et je vous comprends. Vos alvéoles sont au premier niveau avec celles de tous les autres apprentis. Même si vous bénéficierez d’un régime à part qui reste encore à définir, ici vous serez des apprentis.
— Nous comprenons, c’est évident, dit Théo.
Sa sœur jeta un œil autour d’elle.
— Nous avons besoin de nous reposer mais peut-être pourrions-nous nous rendre utiles quand nous aurons dormi un peu ? dit-elle.
— Oui, mais pas tout de suite. Les cours ont déjà commencé et il faut que je mette en place votre cursus. Je vous propose donc de venir me retrouver après vous être reposés. La journée n’est pas finie et elle sera longue. Vous aurez besoin de tous vos moyens. Maintenant installez-vous et à tout à l’heure ! Je dois organiser la défense d’Éolia au plus vite puisque nous sommes les seuls, avec l’école des Supras, à n’avoir pas encore été attaqués.
Chapitre 6
Claire et Théo prirent possession de leur alvéole. Chose étonnante pour eux, il n’y avait pas de dispositif leur permettant de l’aménager à leur goût. Un miroir psyché et deux lits ultra confortables montraient la destination de la pièce. Les deux adolescents s’y écroulèrent sans demander leur reste et s’endormirent.
Lorsqu’ils rouvrirent les yeux, le soleil venait de se lever dehors. Devant leur porte, une âme charitable avait déposé une courjabouffe qui n’attendait qu’à être transformée en mille choses appétissantes. Cela tombait très bien, car ils avaient une faim de loup. Le légume fut donc vite remplacé par des chocolats chauds avec des croissants croustillants à souhait qu’ils dévorèrent à pleines dents.
Ce n’est que lorsque leur estomac demanda grâce qu’ils arrêtèrent de manger. Ils virent leurs sacs, posés contre le mur.
— C’est papa qui nous a fait nos sacs, se souvint Claire. Je crains le pire.
— Il n’y a qu’un moyen de savoir ce qu’il y a dedans, répondit Théo.
Ils se précipitèrent pour les ouvrir. Ils y trouvèrent plusieurs paquets de leurs gâteaux secs préférés, des plaques de chocolat au lait et…
— La cape follette ! s’exclama Claire.
— Dans le mien il y a la clé des songes, répondit Théo. Papa a assuré grave sur ce coup-là !
Ils mirent leurs sacs à l’abri sous le matelas de leurs lits et sortirent. Théo apostropha une grappe de sylphes qui s’approchait de leur chambre, sans doute pour débarrasser les reliquats du petit-déjeuner.
— Excusez-moi, pourriez-vous nous indiquer où se trouve le bureau du directeur s’il vous plaît ?
Les créatures levèrent le doigt dans un bel ensemble pour montrer le haut de la coupole et plus précisément une excroissance cristalline aux pieds de la statue du dragon en orichalque. Malheureusement, aucun escalier ni ascenseurs à l’horizon.
— Il va falloir y aller en volant je suppose, dit Claire.
Elle se retransforma donc en goéland géant, provoquant une cessation générale des activités de l'école !
Tout le monde les regarda avec de grands yeux étonnés tandis que Théo prenait place entre les épaules de son oiseau de sœur. Cette dernière étendit les ailes et s’envola sans effort vers le sommet de la coupole. Ils traversèrent un nuage de papillons de nuit qui semblait effectuer des rondes autour de l’école.
Arrivés sur une petite plate-forme devant la coupole, Claire se retransforma. Une elfe dont les ailes de papillon étaient presque aussi jolies que celles de Zéphyrus vint les accueillir. Ses cheveux blonds coiffés en chignon étaient surmontés d’une casquette de pilote avec deux petites ailes argentées cousues sur le devant portée légèrement de travers. Son visage pâle au menton fin arborait des yeux d’un bleu lumineux. Elle portait une combinaison de vol moulante dorée avec un galon bleu nuit sur tout le côté du corps.
— Bonjour ! leur dit-elle. Vous êtes sûrement Claire et Théo, les apprentis Supras dont tout le monde parle. Je suis Alyzée, l’assistante de Zéphyrus et, autant que vous le sachiez tout de suite, votre mentor pendant votre scolarité à Éolia.
— Enchantés ! répondirent les deux adolescents en chœur.
— Moi aussi soyez-en sûrs. Je vois déjà que pour toi jeune fille, la métamorphose en oiseau n’a plus de secret.
— En fait juste en goéland. C’est le seul oiseau dont nous connaissions le vrai nom.
— Je l’ai déjà fait aussi, s’empressa d’ajouter Théo, mais j’ai perdu le mien de vrai nom, donc je ne peux pas recommencer pour l’instant.
— Ah oui, c’est vrai j’oubliai. Zéphyrus a eu le temps de m’informer en détails de tout ce qui vous est arrivé. Quelle histoire ! Voilà pourquoi j’ai préféré vous laisser dormir. Vous l’aviez bien mérité.
— Avons-nous dormi longtemps ? demanda Claire.
— Vous êtes arrivés avant-hier.
— Ah oui quand même ! dirent les deux ados.
— Ne vous inquiétez pas. Le sommeil est indispensable pour être en forme et ici c’est important. Vos paupières ne peuvent rester lourdes dans une école où la légèreté est de mise. Mais revenons à votre formation. Avez-vous déjà chevauché des créatures volantes ?
Théo lui raconta dans le détail comment ils avaient dompté le griffon à lunettes lors de leurs tests d’évaluation puis l’Agrippa d’Arcana dans ses propres rêves afin de l’obliger à révéler le vrai nom de sa sœur.
L’elfe les regarda, songeuse. Théo la trouvait bien jolie, mais il se rappela ce qui s’était passé la dernière fois qu’il s’était entiché de sa mentor.
— Si je résume, reprit Alyzée, vous maîtrisez déjà l’utilisation de la magie, vous avez déjà volé sur des Impossibles et vous vous êtes déjà métamorphosés en oiseau au moins une fois tous les deux. On peut dire que vous avez une sacrée avance sur les autres apprentis. Je suppose que ce doit être l’apanage des futurs Supras. Il ne vous reste donc plus qu’à apprendre le vrai nom des créatures volantes et comment contrôler les nuages. Ce ne sera pas très long, ni très difficile. Que penseriez-vous de ne travailler que le matin et de disposer de vos après-midis comme bon vous semble ?
— Ce serait cool, dit Théo.
— C’est bon aussi pour moi, ajouta Claire. Pourra-t-on aider à la mise en place de la défense de l’école ?
— Cela m’avait aussi traversé l’esprit. Vos connaissances sont un véritable atout, une vraie chance en ces temps difficiles. Nous allons commencer vos cours tout de suite. Que savez-vous des nuages ?
— Je crois qu’il y en a 9 sortes, répondit Claire.
— En fait, on distingue trois familles de nuages : ce sont les cirrus (« boucles de cheveux »), les cumulus (« amas ») et les stratus (« couches »). Dans ces trois familles, les nuages sont répartis en dix genres différents, répartition qui tient compte de la forme des nuages et de l'altitude à laquelle ils apparaissent :
Les cirrus, cirrocumulus et cirrostratus : nuages de l'étage supérieur, apparaissent entre 6 et 13 km d'altitude. Ils sont constitués de cristaux de glace.
Les altocumulus et altostratus : 2 à 7 km d'altitude. Ils sont constitués essentiellement de gouttelettes d'eau.
Les stratocumulus et les stratus : entre le sol et 2 km d'altitude.
Les nimbostratus, cumulus et cumulonimbus : nuages à développement vertical qui peuvent occuper plusieurs étages en même temps. Vous allez devoir apprendre à les dompter et les chevaucher pour influencer la météo.
— Les chevaucher ? Comme les lutins que nous avons vus en arrivant ici ? demanda Théo. Mais comment est-ce possible ? On va passer à travers !
— Ne vous inquiétez pas. Le dessus des nuages, la partie la plus haute, est gelée. Vous évoluerez donc sur de la glace.
— D’accord mais cette idée de chevaucher un nuage est encore très floue pour ma part, dit Claire.
— Chaque nuage a son tempérament. Les pires ce sont les cumulonimbus. Ce sont eux qui provoquent les orages. Ceux-là vous donneront du fil à retordre. En général, les nuages supérieurs se considèrent comme les rois du ciel. Ce sont les plus difficiles à dompter du fait de leur caractère hautain. Les nuages intermédiaires étant constitués d’eau, la magie bleue est un vrai plus. Quant aux nuages de brouillard, les plus bas, ils sont dociles mais inconstants. Il est donc facile de les dompter mais difficile de les garder sous contrôle.
Tous, vous allez devoir les dresser en vue de les chevaucher. Pour ce faire, c’est très simple : il suffit de planter deux pieux reliés par un fil métallique qui vous servira à la fois de câble conducteur et de rênes. Quand vos pieux sont plantés, vous envoyez du Numineux en continu via le câble et les pieux jusqu’à ce que l’énergie remplisse le nuage puis circule entre lui et vous. Chaque nuage va résister à cette accumulation d’énergie qui se fait contre son gré et la renvoyer. Laissez-la revenir vers vous et repartir via le câble. Il s’agit juste de tenir dans la durée jusqu’à ce que le nuage ait trop d’énergie et ne puisse plus la renvoyer. Cette dernière va alors circuler entre lui et vous, formant un lien qui vous permettra de lui imposer votre volonté et de vous en servir comme monture. Maintenant que vous connaissez la théorie, à vous de me montrer comment vous la mettez en pratique.
— Comme ça ? Sans préparation ? demanda Claire.
— À quoi voulez-vous donc vous préparer ? C’est comme l’équitation. Quand faut y aller, faut y aller !
— Mais, mais… dit Théo.
— Allez ! Arrêtez de discuter et montrez-moi ce que vous valez ! Tenez, je vais même être gentille et vous laisser faire votre premier essai à deux. Ce petit cirrus là-haut me paraît très bien. À vous de jouer !
L’elfe leur tendit un câble de cuivre d’environ trois mètres de long noué à chaque embout autour d’un pieu métallique d’une trentaine de centimètres.
— Comment fait-on pour s’y rendre ? demanda Claire.
Alyzée ne répondit rien mais les regarda intensément, puis elle s’envola et se mit en vol stationnaire juste à côté du nuage qu’elle leur avait indiqué.
— Bon ben je crois qu’il va falloir qu’on se débrouille dit Claire.
Elle se transforma en goéland géant et laissa son frère grimper entre ses épaules. Elle se jeta ensuite de la plate-forme et étendit ses ailes puis se dirigea vers le cirrus sur lequel elle se posa sans encombre. La croûte de glace qui recouvrait le côté supérieur était suffisamment solide pour supporter son poids et celui de son frère.
Théo planta les pieux avec un espacement approximatif d’un mètre cinquante puis il saisit le câble par le milieu et le tira vers lui comme s’il tirait les rênes d’un cheval. Il essaya d’accumuler du Numineux toutefois le stress l’empêchait d’obtenir des résultats rapides. Lorsqu’il considéra avoir assez de Numineux, il l’envoya dans le nuage via le câble et les pieux, mais le nuage ne se laissa pas faire et lui renvoya tout d’un seul coup, ce qui provoqua un choc en retour qui lui fit lâcher le câble.
— On devrait s’y mettre à deux, suggéra diplomatiquement Claire. Après tout on a l’autorisation.
— C’est vrai ! En plus j’étais sur la défensive. C’est pour cela que le Numineux m’a heurté au lieu de me retraverser. On recommence !
Cette fois, avec leurs Numineux combinés, le nuage ne put se défendre longtemps. Ils parvinrent à lui imposer leur volonté puis s’amusèrent à effectuer quelques acrobaties aériennes avant de venir retrouver leur mentor.
— C’est très bien, leur dit-elle. Pour une première fois c’est vraiment très bien ! Même si vous étiez à deux pour le faire, ce n’est pas mal du tout.
Claire et Théo redescendirent avec le nuage qu’ils firent se poser sur le terrain de polomage. Dès qu’ils eurent retiré les pieux, le nuage retourna prendre sa place dans le ciel comme s’il avait été lancé par un ressort ! Trop heureux de ne plus avoir à obéir. Il s’empressa de se débarrasser du Numineux encore en lui par quelques éclairs puis alla se fondre dans un gros cumulo-nimbus qui se trouvait là.
Chapitre 7
— Maintenant, poursuivit l’elfe, passons à la partie la plus importante de votre formation ici : la maîtrise des vents.
— Excusez-moi, interrompit Théo. Tout cela ne va-t-il pas un peu trop vite ?
— Quelle drôle de réflexion de la part d’un magister rouge, car c’est bien toi qui maîtrise la magie rouge n’est-ce pas ? Celle du feu, de la passion, de l’impatience.
— Je ne sais pas si je suis un magister rouge. Je n’ai pas pu passer l’examen final à Pyrosia.
— C’est vrai mais ton cursus a été validé par le prince Saurus lui-même après la déchéance d’Ignacio Braséro, le directeur de Pyrosia et ton mentor si je ne m’abuse.
— Oui à la fin de mon année là-bas. Quant à mon impatience, c’est justement elle qui m’a déjà joué des tours !
— Ne laisse pas tes doutes et tes craintes te freiner, rétorqua l’elfe. La magie jaune est celle de la liberté, de l’air qui survole tous les obstacles de très haut. Plus vite vous en aurez acquis les bases, plus vite vous pourrez pratiquer au maximum de vos possibilités qui, elles-mêmes, ne cesseront d’augmenter.
— Soit, répondit Claire. Allons-y pour la maîtrise des vents.
— Parfait ! ce que vous devez retenir, c’est que les vents sont à la base de la plupart des actions de la magie jaune que vous aurez à accomplir, à part bien sûr, les métamorphoses. Il faudra donc apprendre à les reconnaître pour les utiliser en les appelant. Méfiez-vous d’eux car ils sont par essence imprévisibles. Votre magie jaune doit s’appuyer sur les quatre vents dominants : celui du Nord, du Sud, de l’Ouest et de l’Est. Pour les reconnaître, il suffit d’avoir un bout de ficelle accroché à son bâton. Il se soulèvera dans la direction où va le vent et donc vous permettra de deviner d’où il vient. Si votre ficelle pointe vers le sud c’est que le vent vient du nord et réciproquement.
— Le vent du Nord c’est donc le vent qui vient du Nord ? demanda Claire.
— Tout-à-fait ! Et le vent du Nord est celui de l’hiver, du froid et de la mort. Pas forcément la mort physique. Il peut s’agir aussi de l’arrêt, de la cessation ou de l’élimination de la négativité. C’est un vent froid, son souffle provient des régions des neiges éternelles. C’est aussi un vent sec, stérile, idéal pour les sorts de destruction ou d’arrêt. Sa couleur est le blanc.
— Ça nous sert à quoi la couleur ? demanda Théo.
— Chaque vent souffle des courants d'air, mais sa véritable forme, lorsqu'il souhaite la prendre, est celle d'un dragon transparent avec une couleur associée qui peut vous faciliter la tâche si vous l’utilisez.
— Un dragon ?
— Oui, les vents sont des dragons transparents. Lorsque l'Être Suprême a tourné la première page du grand livre, le Liber Secretarum, la chaleur de son doigt sur la page a généré tellement d'énergie qu'il y a eu une énorme explosion qui a créé notre univers.
— Oui ce que nous appelons le big bang chez les humains, dit Claire.
— Et bien le souffle de cette explosion était le premier vent, le père de tous les autres. Il a pris la forme de la seule chose qu'il a vue à l'époque : l'Être Suprême. Sa descendance l'a conservée avec les différents couleurs que je viens de mentionner.
— D'accord mais comment, nous, on peut utiliser ces couleurs ? demanda Théo. Euh, attendez ! Vous venez de dire que l'Être Suprême est un dragon ?
— Oui, le Dragon Primordial. Vous ne le saviez pas ? Ne vous a-t-on pas dit que la statue de l'école représente un de ses fils ? Et pour répondre à ta première question, l’idéal serait que vous soyez vêtus dans celle du vent que vous souhaitez utiliser. Le doré de mes vêtements correspond à la couleur du vent que j’appelle le plus fréquemment : le vent du Sud-Est avec un peu de bleu car j’utilise aussi parfois le vent d’Ouest. Le vent d’Est est celui de la fraîcheur, de la vigueur, de la force, du pouvoir et de l’intelligence. C’est un vent chaud, fortifiant, qui souffle en provenance du point où le soleil, la lune, les étoiles et tous les astres de feu font leur apparition. C’est le vent du commencement, de la chaleur, de l’étincelle créative. Il permet les améliorations profondes, les changements importants. Sa couleur est le vert. Le vent du Sud est celui des grosses chaleurs. Il est le plus efficace lorsque le soleil est à son zénith. C’est le vent qui aveugle et dessèche. Sa couleur est le jaune. Puis vient le vent d’Ouest, celui qui souffle gentiment et apporte la pluie ou la brume avec les bienfaits qui y sont liés. C’est un vent fertile, animé par une force aimante et persuasive. Il fut le premier à souffler sur les eaux au commencement du monde. Comme je vous l’ai déjà dit, sa couleur est le bleu.
— C’est très poétique, dit Claire.
— Oui, répondit Alyzée. La poésie n’est-elle pas une douce brise pour l’esprit ? Maintenant que je vous ai parlé des vents, il est temps de vous les présenter. Fermez les yeux et lorsqu’ils effleureront votre visage, dites ce que vous ressentez pour tenter de les reconnaître. Êtes-vous prêts ?
Claire et Théo firent oui de la tête. L’elfe commença à scintiller puis à s’élever doucement dans les airs. Parvenue à environ quatre mètres, elle ouvrit les bras et commença à tournoyer doucement. Les deux adolescents fermèrent les yeux.
Ils laissèrent le vent naissant leur caresser le visage et la paume de leurs mains. Vidant leur esprit, ils se concentrèrent et des images apparurent. D’abord floues, elles se précisèrent peu à peu : de gros nuages gris cotonneux chargés de pluie au-dessus de champs de blé dorés. Des prés à l’herbe verte et grasse avec des vaches qui la mâchaient à pleines dents.
— Vent d’Ouest ! dirent-ils en chœur.
L’elfe leur sourit et acquiesça en baissant les bras. Puis elle les releva, indiquant par là qu’elle allait convoquer un autre vent.
Ce dernier leur dessécha immédiatement la gorge.
— Vent du Sud ! dirent-ils.
— Exact ! répondit l’elfe. Maintenant que vous savez comment les reconnaître, il va falloir apprendre à les appeler et à les contrôler. Cette partie de la magie jaune s’appelle l’aérokinésie. Vous devez vous concentrer comme pour accumuler du Numineux puis vous fermez les yeux et vous vous visualisez dans un endroit en plein air au sommet d’une montagne avec une vue bien dégagée tout autour de vous.
Claire et Théo s’imaginèrent en haut du Menez-Hom, la montagne sacrée bretonne près de leur maison. Elle n’était certes pas bien haute mais c’était un sommet qu’ils connaissaient bien. Ils s’y sentaient à l’aise.
— Maintenant, reprit Alyzée, tournez-vous vers l’Est sur votre montagne puis imaginez des oiseaux virevoltant en face de vous. Sentez l’air qu’ils déplacent avec leurs ailes et laissez cet air imprégnez tout votre être. Avancez-vous au bord du sommet de façon à voir des nuages à vos pieds et les oiseaux qui continuent de virevolter autour de vous. Reculez-vous, prenez un peu d’élan et sautez ! Élancez-vous pour voler avec les oiseaux !
Claire et Théo s’y efforcèrent mais n’y parvinrent pas. Dans leur esprit, ils sautaient mais retombaient toujours. Ils ouvrirent les yeux et, regardant l’elfe, haussèrent les épaules en guise d’impuissance.
— Ce n’est pas grave, dit l’elfe, recommencez ! Respirez lentement et faites le vide. Concentrez-vous sur votre respiration. Prenez conscience de l’air qui entre en vous, qui descend dans votre gorge et remplit vos poumons. Puis sentez sa remontée dans la gorge et sa sortie par votre bouche. Sentez l’air ambiant sur tout votre corps. Maintenant imaginez que chaque partie, chaque cellule de votre corps respire comme un poumon. Voyez tous les pores de votre peau, toutes les cellules qui se gorgent d’air et puis l’expirent. Même vos os deviennent creux. Laissez l’air entrer en vous et chasser la matière. Petit à petit vous devenez transparents et lâchez prise. Vous serez prêts quand vous vous sentirez flotter.
Les deux adolescents firent ce que l’elfe leur conseillait. Une première tentative échoua, puis une deuxième et une troisième… ce ne fut qu’à la septième tentative qu’ils ne sentirent plus la terre sous leurs pieds. Alyzée dut le remarquer car elle enchaîna :
— Maintenant, laissez-vous porter ! Montez ! Montez comme un ballon dans le ciel bleu. Regardez les courants d'air autour de vous !
Toujours dans leur esprit, les deux adolescents virent des rivières argentées tout autour d’eux, les mêmes qu’ils avaient déjà pu observer lorsqu’ils avaient pris la forme de goélands pour atteindre le château du géant Kawr. C’était il y a bien longtemps, alors qu’ils tentaient de sauver l’âme de leur père des griffes de Ravage, le garde-chasse des démons.
En nageant dans les airs, ils s’approchèrent d’une de ces rivières pour la voir de plus près. Elle était constituée de milliers de filaments argentés.
— Voyez-vous les filaments ? demanda Alyzée.
Claire et Théo firent oui de la tête.
— Leur nom en vrai langage est LAVELEM. Pour contrôler les courants d'air, vous devrez contrôler ces filaments.
Ils tentèrent chacun dans leur tête, d’en attraper quelques-uns mais ils leur filèrent entre les doigts. Lorsqu’ils abandonnèrent et décidèrent de rouvrir les yeux, ils constatèrent avec stupéfaction qu’ils flottaient vraiment au-dessus du sol ! Déconcertés, ils paniquèrent et retombèrent lourdement !
Alyzée les regarda en souriant.
— C’était pas mal du tout pour une première séance. Je vous donne rendez-vous ici demain matin pour votre deuxième leçon. D’ici là, vous pouvez faire ce que bon vous semble mais n’oubliez pas de vous détendre. Vous l’avez bien mérité.
Et elle les laissa là, s’envolant vers le sommet du dôme.
Claire et Théo restèrent un instant interloqués.
— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? hasarda Théo.
— J’ai faim ! se contenta de répondre Claire.
— Oui, bonne idée !
L’adolescent apostropha une grappe de sylphes et leur demanda deux courjabouffes bien chaudes à servir dans leur chambre d’ici dix minutes.
Dès que ce fut fait, les courjabouffes devinrent une pizza et une glace pour Claire tandis que Théo préférait un magret de canard avec des pommes de terre sautées suivis par une mousse au chocolat.
— Heureusement que certaines choses n’ont pas changé, lui dit Claire en souriant.
Théo lui rendit son sourire et se jeta sur son repas.
Lorsqu’ils furent rassasiés, ils s’allongèrent sur leur lit respectif.
— Alors ? dit Théo au bout d’un moment.
— Alors quoi ? demanda Claire.
— La magie jaune, tu la sens comment ?
— Je ne sais pas trop. Avec la pépite d’orichalque que j’ai avalée et Excalibur, c’est presque trop facile. À part pour le contrôle des courants d'air. Les filaments m’ont glissé entre les doigts.
— Pareil pour moi. Je me demande comment on peut les contrôler, répondit Théo.
— J’ai vu Alyzée faire des mouvements circulaires avec ses bras juste avant de fermer les yeux.
— Tu crois que ça a un rapport ?
— Rien ne nous empêche d’essayer.
— Holà ! Calmos mademoiselle « j’en rajoute ». Alyzée nous a conseillé de nous reposer je te rappelle.
— C’est vrai toutefois je ne suis pas tranquille. Éolia est à l’abri des événements mais pour combien de temps ? tu ne crois pas que ce serait mieux d’assimiler la magie jaune le plus vite possible ?
— Si bien sûr, mais moi je n’ai pas avalé de pépite d’orichalque. Je rame un peu pour accumuler du Numineux. Et là franchement, je suis crevé !
— Ok ! Ok ! Fais ta sieste on en reparle après.
Chapitre 8
La sieste fut réparatrice pour Théo qui se réveilla après deux bonnes heures de sommeil alors qu’il avait eu l’impression de n’avoir dormi que 10 minutes. Lorsqu’il ouvrit les yeux, sa sœur était sur le point de sortir.
— Ça y est la marmotte ? T’es réveillé ? dit-elle.
— Oh la vache ! se contenta de répondre Théo en étirant ses bras. J’avais vraiment besoin de sommeil.
— Maintenant que tu es retapé, on va pouvoir aller proposer notre aide. Je serai rassurée si on participe un tant soit peu à la défense d’Éolia.
— C’est ok pour moi allons-y !
Ils sortirent de leur chambre et regardèrent les différents chantiers où des dizaines de personnes s’activaient un peu partout. Une palissade de pieux pointus entourait déjà toute la zone de l’école. D’autres pieux parsemaient le terrain de polomage empêchant tout atterrissage éventuel.
— On devrait s’occuper des buts de polomage, dit Claire. Puis sans attendre de réponse, elle se dirigea vers un elfe aux ailes de scarabée qui dirigeait les travaux près des cercles de pierre. Un nuage de mouches lui tournait autour sans que cela semble le gêner le moins du monde.
Théo lui emboîta le pas, conscient lui aussi du danger que faisait peser sur l’école cet accès direct aux enfers.
— Bonjour, dit Claire à l’elfe. Je suis Claire et voici mon frère Théo. Nous voudrions vous proposer notre aide.
— J’ai entendu parler de vous. Vous êtes les apprentis Supras n’est-ce pas ? Mais ne devriez-vous pas être en cours ?
— Nous disposons de nos après-midis pour faire ce que nous voulons, répondit Théo. Notre mentor Alyzée estime que nous n’avons pas besoin de journées complètes de formation.
— Je vois, mais je crains de ne pas pouvoir vous faire faire quoi que ce soit. Vous ne savez pas encore voler n’est-ce pas ?
— C’est vrai mais nous voudrions nous occuper de boucher les buts du terrain de polomage. Ce sont des accès reliés directement aux enfers.
— Oui je suis au courant. Nous ne parvenons pas à les ensorceler. Cela n’augure rien de bon.
— Je me charge de les fermer avec des planches en acier ! dit Théo. Cela ralentira toujours un peu ces saletés de démons.
— On ne peut pas simplement les enlever ? demanda Claire. Et les jeter par-dessus bord ?
— Ça aussi nous avons essayé, mais sans succès. Ces maudits cercles semblent ne faire qu’un avec le terrain. La solution de votre frère me paraît la moins pire.
— Dans ce cas Théo, c’est à toi de jouer !
Le jeune homme se concentra pour accumuler du Numineux puis transforma tout un pan de terrain en planches d’acier trouées à chaque extrémité. Il créa ensuite de grosses vis et une perceuse puis s’employa à percer les cercles de pierre avant d’y visser les planches avec l’aide de sa sœur. Ils avaient presque terminé lorsqu’un bout de la manche de Théo se prit dans l’embout de la perceuse et s’enroula autour. Sa chemise se déchira sous la torsion et se transforma en une épaisse corde qu’ils eurent toutes les peines du monde à dénouer de l’outil. L’incident aurait pu être sans conséquence s’il n’avait pas provoqué un rapprochement dans l’esprit de Théo.
— J’ai compris ! s’exclama-t-il. C’est comme ça qu’il faut procéder pour rassembler les filaments des courants d'air et les tresser pour en faire une corde. Plus la corde sera épaisse et plus le vent sera violent !
— Pas bête ! répondit sa sœur, pas bête du tout ! Nous essayerons lors de notre prochaine leçon après en avoir parlé à Alyzée.
Soudain, une bise glaciale vint leur fouetter le visage. Claire sursauta. Le vent du Nord ! Celui du danger et de la mort !
— À terre ! cria-t-elle.
Théo avait déjà compris. Les deux enfants s’aplatirent juste à temps pour éviter un pieu en bois qui vint se planter à côté d’eux et aurait dû emporter leurs têtes.
La force avec laquelle il venait de se planter l’avait enfoncé de plusieurs dizaines de centimètres dans le sol mais le pieu tremblait, cherchant visiblement à se dégager, sans doute pour les réattaquer.
Claire et Théo se concentrèrent et accumulèrent du Numineux.
— LISTRUJADURDEM ! crièrent-ils ensemble tandis que le pieu parvenait à s’extraire du sol et repiquait vers eux.
À peine eurent-ils terminé de crier que le pic de bois se désintégra.
Tous les êtres alentours se précipitèrent pour prendre de leurs nouvelles et vérifier qu’ils n’avaient rien.
— Ça va, ça va ! dit Théo mais quelqu’un a tenté de nous tuer !
— Holà ! Pas de conclusion hâtive jeune humain, intervint l’elfe aux ailes de scarabée. Qu’est-ce qui vous fait croire une chose pareille ? Cela ressemblait à un accident.
Claire fit signe à son frère de ne pas insister. Tout le monde était à cran et il ne fallait pas en rajouter.
Afin de rester discrets, ils décidèrent de retourner dans leur chambre. Après tout, la journée était bien avancée. Les buts étaient condamnés et les deux enfants ne souhaitaient pas trop s’exposer, convaincus qu’ils restaient d’avoir subi une attaque.
— On a tenté de nous tuer, dit Théo lorsqu’ils furent seuls.
— Je sais, ce pieu se comportait comme s’il avait une tête chercheuse calée sur nous. Cela ne peut pas être un hasard.
Quelqu’un frappa à la porte : leur mentor Alyzée.
— Tout va bien ? demanda-t-elle avec inquiétude. Je viens d’apprendre ce qui s’est passé, vous n’avez rien ?
— Non ça va, répondit Claire. Mais nous venons d’être victimes d’un attentat. Nous ne voulons affoler personne, mais c’est un fait.
L’elfe la dévisagea longuement, décontenancée par ce qu’elle entendait.
— Vous êtes sûrs ? On m’a parlé d’un accident…
— Ce n’en était pas un, intervint Théo. Ce pieu en bois s’est d’abord fiché dans le sol puis il s’en est extrait pour de nouveau nous attaquer.
— Nous sommes venus ici sur ordre de Saurus car il pensait que nous serions en sécurité mais ce n’est pas le cas, renchérit Claire.
— D’accord ! Je vais ouvrir l’œil. Toutefois si vous êtes menacés, vous devrez vous aussi vous tenir sur vos gardes. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour vous protéger mais mes responsabilités m’empêchent d’être en permanence à vos côtés. J’en suis vraiment désolée, croyez-le bien. En ces temps troublés, je dois, moi aussi, participer à la préparation de la défense d’Éolia.
— Bien sûr, nous comprenons, répondit Claire. Ne vous en faites pas, nous allons veiller l’un sur l’autre.
— Merci, vraiment hmmm… Peut-être n’est-il pas nécessaire d’ébruiter cet incident qu’en pensez-vous ? Dois-je avertir Zéphyrus ?
— Non, dit Théo. Chacun doit conserver sa sérénité le plus longtemps possible. Pour l’instant, il n’y a rien eu de dramatique.
Claire, étonnée, regarda son frère. Ce dernier lui fit un signe rassurant pour lui montrer qu’il savait ce qu’il faisait.
— Au fait Alyzée, poursuivit-il, nous voudrions vous montrer quelque chose. Je crois que nous avons compris comment nous pouvons contrôler les vents.
Le jeune homme se concentra et déclencha un vent si violent qu’il plaqua l’elfe, stupéfaite, contre la porte de leur chambre.
— Oups ! dit Théo. J’y suis peut-être allé un peu fort.
— Par le typhon ! Les apprentis habituels n’y parviennent pas avant le milieu de l’année, et encore, les plus doués. Vous c’est au bout de deux jours !
La créature ouvrit la porte et sortit après leur avoir adressé un regard impressionné.
— Qu’est-ce qui vient de se passer là ? demanda Claire à son frère.
— J’ai voulu l’impressionner au cas où elle aurait quelque chose à voir avec l’agression.
— Elle ? Tu crois ?
— Je n’en sais rien, mais je préfère ne pas prendre de risques. Au mieux, elle va parler de nos performances à tout le monde et l’instigateur de l’attentat y réfléchira à deux fois avant de recommencer.
— Pas mal ! Tu m’épates sur ce coup-là.
— Merci, dit Théo ravi que sa sœur le complimente. Mais toutes ces émotions m’ont donné faim. Je propose de bien dîner et d’essayer de joindre les parents pour avoir des nouvelles. Et après dodo !
— C’est un programme qui me convient tout à fait. Je vois que tu ne perds pas le sens des priorités, répondit Claire avec un clin d’œil.
Chapitre 9
Le lendemain, Claire et Théo se réveillèrent le cœur plus léger. La journée promettait d’être belle : ils avaient pu enfin communiquer avec leurs parents que le prince Saurus accueillait dans son école et ils étaient impatients de montrer à Alyzée de quoi ils étaient capables.
Après un solide petit déjeuner, ils retrouvèrent leur mentor sur le terrain de polomage.
— Alors jeunes gens, commença l’elfe. Voici votre liste de noms à apprendre pour demain. Votre petite démonstration d’hier a été impressionnante mais il va falloir me montrer comment vous pouvez utiliser la puissance des vents pour pousser les nuages et les chevaucher. Vous vous êtes révélés très en avance toutefois les choses sérieuses commencent maintenant.
— Qu’attendez-vous de nous ? demanda Théo le dos traversé par un frisson d’excitation.
— Regardez là-haut ! J’ai fait installer au-dessus de l’école un parcours à votre intention. D’abord ces trois sphères rouges entre lesquelles vous allez devoir slalomer puis ce petit orage qu’il va vous falloir traverser en évitant ses accès de mauvaise humeur et enfin le tourbillon qui va vous emporter jusqu’à une hauteur de 2000 mètres d’où vous descendrez en piqué pour finalement passer entre ces deux sphères vertes qui marquent la fin du parcours. Je vous laisse choisir vos nuages respectifs. Le premier arrivé gagnera une récompense.
— Pardon Alyzée, intervint Claire, mais vous pouvez tout de suite donner cette récompense à Théo. Je ne veux plus être en compétition avec lui pour quelque raison que ce soit. Cela s’est trop mal terminé la dernière fois.
— Ben ça alors ! dit Théo. J’allais dire exactement la même chose !
Alyzée resta un instant décontenancée puis sourit.
— Je peux comprendre cela, finit-elle par dire. Dans ce cas ce sera juste pour la beauté de la performance. Vous le faites chacun votre tour et je garde les temps pour moi, d’accord ?
— C’est bon pour moi ! répondirent en chœur les deux enfants.
Ce fut Théo qui commença. Il choisit un petit cumulo-nimbus qui ne fit pas de difficultés pour se faire remplir de Numineux, puis convoqua un vent chaud du sud pour le pousser. Le jeune homme slaloma entre les sphères rouges en essayant de les raser le plus possible, puis il fonça à travers l’orage si rapidement qu’aucun éclair ne put le menacer. Lorsqu’il arriva dans le tourbillon, il fut surpris par la violence des vents tournants qui l’emportèrent haut dans le ciel, mais au lieu de s’arc-bouter pour essayer de contrôler sa monture cotonneuse, il lâcha les rênes et se recroquevilla en s’accrochant aux pics de fer enfoncés dans son nuage. Quand tout se calma il reprit le contrôle. Il allait amorcer sa descente en piqué quand un éclair vint frapper son nuage, le faisant exploser en une pluie fine !
Théo hurla de terreur comme il comprenait qu’il tombait. Son esprit fonctionna à toute vitesse. D’abord se calmer pour pouvoir se concentrer et accumuler du Numineux. Les toits d’Éolia se rapprochaient de plus en plus vite. Il ne pouvait pas se métamorphoser, il lui fallait trouver autre chose !
Il sentit le souffle glacial d’un vent du nord lui confirmer qu’il était en danger de mort. Il allait s’écraser !
D’abord gagner du temps : il étendit les bras et les jambes pour essayer de planer et de ralentir sa chute. Les courants d’air chaud qu’il traversa le rapprochèrent un peu du tourbillon. Oui ! Le tourbillon ! S’il trouvait le moyen d’y entrer, il serait réexpédié à 2000 mètres d’altitude. Cela lui redonnerait un peu de temps ! Il se concentra et appela une bourrasque qui le poussa au milieu des vents tourbillonnants. Aussitôt il se mit à tourner en montant jusqu’à l’endroit où son nuage avait explosé. Dès qu’il se remit à tomber il recommença sa manœuvre encore une fois, puis une autre et encore une autre.
— Avez-vous besoin d’aide jeune homme ?
La voix surprit Théo alors qu’il sortait pour la troisième fois du tourbillon.
— Je vous vois faire toujours la même manœuvre sans parvenir à voler. Quelque chose ne va pas ?
Théo essaya de regarder autour de lui tout en contrôlant sa chute. Un énorme livre ouvert était en vol stationnaire à ses côtés.
— AIDEZ-MOI ! lui cria le jeune homme alors que les toits de l’école se rapprochaient encore dangereusement.
Le livre sembla hésiter une seconde puis se glissa sous lui. Théo reprit ses esprits et s’assit au milieu des pages tandis que le livre reprenait de la hauteur.
— Merci, dit-il. Vous m’avez sauvé la vie ! Vous êtes l’Agrippa de l’école n’est-ce pas ? C’est la première fois que j’en entends un parler.
Mais le livre ne répondit pas.
— Vous ne dites plus rien ? insista Théo.
Le coin d’une immense page se releva puis s’abaissa, lui indiquant qu’il devait écrire quelque chose.
Théo sortit un stylo de sa poche et inscrivit sur le papier parcheminé :
« Encore merci. Vous ne pouvez plus parler ? »
L’encre disparut pour réapparaître presque aussitôt en formant de nouveaux mots :
« Je peux parler en faisant siffler mes pages dans différents vents. Comme vous êtes assis sur moi, je ne peux plus les faire bouger donc… »
« J’ai compris, écrivit Théo, je m’appelle Théo Le Bihan et je… » L’encre disparut sans lui laisser le temps de terminer.
« Oui je sais qui vous êtes. Toute l’école ne parle que de vous et de votre sœur. Pardon, mais vous n’avez pas l’air aussi doué qu'on le dit, sans vouloir vous offenser. »
Théo écrivit alors ce qu’il avait vécu aux enfers et pourquoi il ne pouvait plus se métamorphoser du fait de la perte de son vrai nom.
L’Agrippa mit quelques secondes pour absorber le récit comme s’il prenait le temps de bien comprendre tout ce que le jeune homme écrivait. Finalement il lui répondit :
« Contrairement aux autres apprentis, vous n’avez pas besoin de me convaincre de vous aider. Mon pauvre ami ! Comme vous avez dû souffrir ! Laissez-moi voir…Ah oui ! Voilà ! Votre nouveau vrai nom est LOUARHATANNDEM, faites-en bon usage. Bien, je crois que ces personnes sont là pour vous. Je vous dis donc au revoir. Je suis vraiment heureux d’avoir pu vous faciliter la vie après tout ce que vous avez vécu. »
Alyzée et Claire venaient d’arriver afin de comprendre pourquoi Théo ne redescendait pas. Sa sœur le fit monter sur son nuage, à côté d’elle puis le fit s’asseoir tandis que l’Agrippa s’éloignait.
— Que s’est-il passé ? demanda Alyzée après quelques minutes.
— Vous auriez pu me prévenir que mon nuage devait exploser après le tourbillon ! J’aurais pris mes dispositions.
— Mais de quoi parles-tu ?
— Un éclair a frappé mon nuage à la sortie du tourbillon. J’ai dû me débrouiller sans lui mais puis-je vous rappeler que je ne sais pas encore voler et que pour l’instant je n’ai plus de vrai nom ? Vous avez placé la barre un peu haut !
— Je t’assure que je n’y suis pour rien. Un éclair, dis-tu ? C’est toujours possible, même si l’orage est loin, mais quand même !
— Je sais ce que j’ai vu !
— Oui, oui bien sûr ! Tu as l’air vraiment bouleversé et je ne veux pas t’offenser. Une décharge d’électricité statique est toujours possible. Tu as eu chaud. Je crois que cela suffira pour aujourd’hui. Comme tu avais presque fini le parcours, je pense que la descente en piqué finale ne t’aurait pas posé de problèmes. Je considère donc que tu as réussi.
— Moi je n’ai pas encore fini, dit Claire en faisant plonger son nuage à toute vitesse.
— Hééééé ! hurla Théo juste après avoir pris le temps de s’accrocher à sa sœur.
Il sentit son estomac remonter dans sa bouche mais se força à respirer pour ne pas vomir. Chose étrange, Claire ne plongeait pas vers les deux sphères vertes mais vers un point noir lointain qui disparut derrière Éolia. Voyant qu’elle ne pourrait pas le rattraper, Claire bifurqua et atterrit entre les deux sphères. Alyzée les rejoignit peu après en riant.
— D’accord, d’accord ! Vous avez réussi tous les deux, dit-elle joyeusement. Une dernière chose et vous aurez bien mérité votre après-midi. Maintenant que vous contrôlez les souffles des vents, vous allez bientôt faire la connaissance des vents eux-mêmes. Restez humbles et reconnaissants. Tout se passera bien.
— C'est à dire ? demanda Claire. Les vents, ce ne sont pas ces rivières de filaments ?
— Non, il ne s'agit là que de leurs souffles. Rappelle-toi ce que j'ai dit : les vents sont des dragons presque transparents dont les couleurs correspondent à celles dont je vous ai déjà parlé. Lorsque vous modifiez leurs souffles, ils le savent et viennent voir ce qui se passe. Je pense que vous en rencontrerez bientôt.
Alors que l’elfe s’éloignait, Théo tira Claire par la manche.
— Tu m’expliques ce que tu as fait à la fin de la course ?
— J’ai remarqué quelque chose ou quelqu’un qui nous observait. Il a eu le temps de s’enfuir mais je crois l’avoir reconnu avec ses ailes de scarabée.
— L’elfe d’hier ? Tu as une sacrée bonne vue dis donc !
— Je ne suis pas sûre à cent pour cent mais les reflets du soleil sur sa carapace étaient caractéristiques.
— Soit, dit Théo. Si nous reparlions de tout cela tranquillement en mangeant ?
— Tu as raison.
Claire demanda à une grappe de sylphes de leur apporter des courjabouffes et les deux adolescents se rendirent dans leur chambre.
Après s’être restauré et remis de ses émotions, Théo annonça :
— Il va falloir jouer serrer. L’attaque des démons n’a pas encore commencé, pourtant l'elfe aux ailes de scarabée nous est hostile.
— Oui et je ne comprends pas pourquoi, dit sa sœur.
— C’est peut-être simplement un espion chargé de nous mettre des bâtons dans les roues. Nous allons lui reproposer nos services tout à l’heure. Cela nous permettra de l’avoir à l’œil.
— Bonne idée ! Nous en profiterons pour nous renseigner discrètement sur lui.
Les deux jeunes gens nettoyèrent les restes de leur repas puis allèrent se mettre à la recherche de l’elfe aux ailes de scarabée entouré de mouches.
Comme ils ne savaient pas où il se trouvait ni comment il s’appelait, ils en firent la description à d’autres elfes qu’ils rencontrèrent. Cela leur permit d’apprendre que Zonzon, ainsi s’appelait-il à cause du bruit de ses ailes quand il s’en servait, Zonzon donc n’avait la responsabilité d’aucun chantier aujourd’hui.
Il lui arrivait d’avoir des migraines après être tombé dans un des buts du terrain de polomage lors d’une partie endiablée en fin d’année dernière. Il en était ressorti deux jours après et, depuis, il était toujours accompagné par un nuage de mouches.
Claire et Théo se firent indiquer sa chambre puis s’y rendirent. Ils frappèrent à la porte et attendirent. Comme personne ne venait leur ouvrir, ils décidèrent de partir pour revenir à la nuit tombée.
Chapitre 10
Ils attendirent le milieu de la nuit et virent finalement l’elfe aux ailes de scarabée quitter sa chambre vers deux heures du matin. La créature regarda à droite puis à gauche et, constatant qu’elle était seule, se dirigea vers le terrain de polomage.
Là, elle dévissa une des planches d’accès que Théo avait mises en place pour boucher les cercles de pierre. Ses intentions étaient claires.
— Je parie que je sais où il va murmura Claire à Théo.
— Moi aussi
— Maintenant que tu as récupéré ton vrai nom, tu peux te métamorphoser ?
— Oui à priori.
— Si on veut le suivre sans se faire remarquer, il faut que l’on se transforme.
— Ok mais en quoi ?
— Quelque chose de petit, de très petit. On va se coller à lui sans qu’il s’en aperçoive.
— Le plus petit insecte dont je connais le vrai nom, c’est la mouche. Elle était sur la liste qu’Alizée nous a donné ce matin.
— Oui ça ira, je m’en rappelle aussi. Cela tombe plutôt bien puisqu’il est entouré en permanence par un nuage de mouches. On se transforme et on s’approche discrètement pour se poser sur le haut de son dos. Avec sa carapace, il ne nous sentira pas. Ensuite, on s’accroche et on se fait oublier.
Claire et Théo accumulèrent du Numineux et se métamorphosèrent en mouche puis s’envolèrent tandis que l’elfe terminait de dévisser la dernière planche d’accès. Il s’engouffra ensuite sans hésiter dans le but de polomage et se laissa emporter par le tourbillon rouge qui l’emmena directement aux enfers. Les deux adolescents, sous leur forme drosophile, s’accrochaient en tremblant de tous leurs membres. Les relents de soufre leur donnaient la nausée, réveillant des souvenirs douloureux. Ils suivaient ce qui se passait de tous leurs yeux globuleux.
L’elfe se métamorphosa en un démon ailé impressionnant tandis qu’il passait devant un autre elfe aux ailes de scarabée identique en tous points à son apparence précédente. Toutefois, ce dernier était attaché à un rocher par de puissantes chaînes.
Le démon lui saisit le menton sans ménagement.
— Bientôt, gronda-t-il, tes souffrances cesseront. Tu ne me seras plus d’aucune utilité alors je te tuerai. Ta mort sera ta délivrance et toi qui n’as pas d’âme, tu sombreras dans l’oubli. Encore merci pour ton vrai nom, conclut-il avec une grande gifle.
L’elfe portait la marque de longues tortures. Le geste du démon lui arracha un hurlement de douleur qui glaça le sang de Claire et Théo.
— Général ! Général !
Un petit diable vint apostropher le démon ailé.
— La légion jaune vous attend pour l’inspection, Général !
Le démon se retourna, considérant le nouvel arrivant comme un intrus qui venait le déranger. Il lui envoya une boule de feu qui le vaporisa sur place puis se dirigea vers un promontoire tout proche. Claire et Théo grimpèrent jusque sur ses épaules pour profiter de la vue.
En contrebas se trouvaient des centaines de démons et des machines volantes avec d’énormes ballons de couleur jaune, du même jaune que les peintures de guerre arborées par les visages et les armures des dits démons.
Alors que le général s’envolait pour descendre en planant, les troupes en contrebas remarquèrent son arrivée et se rangèrent dans un bruit assourdissant de cliquetis métalliques de toutes sortes avant d'entamer un défilé.
Il inspecta d’abord un carré d’une cinquantaine de démons ailés comme lui, mais plus petits, armés de fourches qui crépitaient d’électricité. Leur armure était légère, comme leur armement. Claire et Théo en déduisirent qu’il s’agissait sans doute là de ceux qui seraient chargés de la reconnaissance. Les armes légères n'étaient pas là pour détruire ceux d'en face mais juste pour les tester.
Vinrent ensuite cinquante barges suspendues à de gros ballons jaunes. Chaque barge contenait cinquante démons sans ailes mais armés de pieds en cap toujours selon le même dispositif : d’abord quarante fantassins avec des boucliers, des épées, des haches, des lances, puis une dizaine d’archers ou d’arbalétriers avec juste un casque et des protège-bras.
Les deux enfants étaient effrayés par un tel déploiement de forces. Les barges furent suivies par un régiment de démons en armure légère, eux aussi armés d’une fourche, chevauchant des chauves-souris vampires géantes caparaçonnées.
Une autre barge aérienne fermait la marche, pleine d’une dizaine de dragons dégénérés dont les ailes avaient été coupées, à peine domptés par leurs cavaliers démoniaques qui tentaient tant bien que mal de les faire rester tranquilles pour éviter de chavirer. L’un des dragons s’énerva et cracha un jet de flammes vers une chauve-souris vampire géante qui le précédait en volant. La créature s’écrasa dans une gerbe de feu, tuant son cavalier par la même occasion.
Le général lança deux boules de feu sur la bête récalcitrante qui se vaporisa aussitôt, ce qui calma les autres.
Malgré cela, il sembla satisfait de ce qu’il venait d’inspecter.
— Je veux voir immédiatement les commandants de bataillon, dit-il avec une voix de tonnerre qui résonna dans tout le cercle infernal.
Presque aussitôt, un démon s’envola de chaque formation qui venait de défiler pour atterrir devant lui.
— L’invasion de l’école de la magie de l’air est proche, dit-il. Mon plan d’attaque est le suivant : Éolia doit tomber le plus rapidement possible afin de combler le retard que nous avons pris par rapport aux autres légions. La compagnie de reconnaissance attaquera en premier pour tester et préciser le dispositif défensif de l’école. Le bataillon aérien d’attaque et de bombardement nettoiera le ciel et le terrain afin de permettre l’arrivée des dragons dégénérés qui termineront de clarifier le terrain et appuieront les chauve-souris vampires. Lorsque la zone sera suffisamment dégagée, les transports de troupes prendront pieds sur le terrain de polomage et envahiront la place. Mes consignes sont claires, aucun prisonnier. Comme ils s’attendent à nous voir arriver par les anneaux de pierre, nous les surprendrons en sortant par le Yeun Ellez, puis en rejoignant Éolia par voie aérienne en pleine nuit. Je serai déjà sur place sous la forme de l’elfe capturé et je vous guiderai grâce à une balise que j’aurai en permanence sur moi. Comme les autres légions colorées, nous ne sommes que l'échelon de reconnaissance des armées de Lucifer, mais je veux qu'il n'y ait pas de résistance quand il nous rejoindra avec le gros des troupes. Y a-t-il des questions ?
— Mon général, répondit un démon en levant la main. Que faisons-nous des supplétifs ?
— Ah oui, je les avais oubliés ceux-là. Qu’avons-nous à notre disposition ?
— La santirine et un régiment de golems d’orichalque.
À l’évocation de ces derniers, Claire et Théo sentirent un frisson de peur parcourir le dos du général démoniaque.
— Je veux que toute la gloire de ce combat nous revienne. Ils resteront en réserve et n’interviendront que, c’est peu probable, si nous rencontrons des difficultés. Les golems n’obéissent qu’à leur maître, l'Agrippa du feu. Quant à la santirine, elle n’a même pas été capable de battre deux enfants humains alors… Transmettez mes ordres et tenez-vous prêts !
Le général avait à peine fini de parler qu’un autre démon ailé aussi imposant que lui vint se poser à ses côtés. Sans un regard pour les autres, il se contenta de dire :
— Lucifer t’attend à son palais. Tout de suite ! avant de repartir.
Le général eut un autre frisson et s’envola à sa suite. Il survola plusieurs cercles infernaux pour finalement atterrir au milieu de la cour du palais du prince des enfers.
Reconnaissant les lieux, Claire et Théo n’étaient pas rassurés.
Le général fut conduit dans une salle où Lucifer était en grande conversation avec d’autres démons autour d’une table sur laquelle une immense carte était déroulée.
— Ah ! fit Lucifer, approche Belzébuth seigneur des mouches. Nous n’attendions plus que toi. L’invasion se déroule à merveille, mais toi tu es en retard. Quand as-tu prévu d’attaquer ?
— Après-demain votre Altesse. J’ai eu quelques contretemps.
— Je sais, je sais. Crois bien que sinon, tu ne serais plus là pour en parler. Bon, en attendant nous allons effectuer un raid jusqu’à Ys, la ville engloutie. Il y a là-bas la fille de l’ancien roi qui aurait mis au point une pilule comparable à celle que ces sales petits humains ont détruite. Je veux la récupérer, cela m’évitera d’avoir à retrouver la formule pour en recréer une. De plus, mon allié me presse de récupérer le dernier Agrippa. Ils ont tous été capturés sauf celui d’Éolia.
— Pardon votre altesse, mais nous faisons tout cela pour des livres ? demanda un des démons autour de la table.
— Me demanderais-tu de me justifier ? dit Lucifer avec une voix faussement innocente.
— Non, non pitié votre altesse ! gémit le démon en tombant à genoux. Mes mots ont dépassé ma pensée !
Lucifer s’approcha encore et mit la main sur son épaule.
— Allons, allons calme-toi. Tu le sais pourtant que je n’ai pas besoin de gens impulsifs. J’ai besoin de gens qui réfléchissent avant de parler.
La main de Lucifer se mit à fumer puis le démon agenouillé devint incandescent et disparut dans un hurlement de douleur. Le prince des enfers se tourna ensuite vers le reste de l’assistance.
— Y en a-t-il d’autres qui souhaiteraient des explications ?
Tous baissèrent la tête sans répondre jusqu’à ce que l’un d’eux crie :
— Gloire à Lucifer ! Gloire à Lucifer ! repris par tous les autres.
Lucifer prit un air satisfait et quitta la pièce.
Le général de la légion jaune s’approcha d’un autre démon ailé qu’il semblait bien connaître.
— Je suis arrivé en dernier, dit-il. J’ai raté quelque chose ? Pourquoi son Altesse a-t-elle réagi comme ça ?
— Son ego la chatouille. Elle n’aime pas être dépendante de quoi que ce soit, et là, elle dépend de son allié pour mener à bien son plan.
— J’ai dû rater un épisode. Le but n’est pas de détruire ces maudits magisters ?
— Mais non… enfin si mais pas seulement. L’allié de Lucifer c’est l’ancien Agrippa de Pyrosia, le Liber Ignis, qui s’est téléchargé dans le premier golem d’orichalque. Il veut reformer le Liber Mundi, le livre du monde. Lucifer a besoin de ce livre pour contrôler les mondes après son échec avec le Graal. Une fois qu’il sera en sa possession, il cherchera à reformer le Liber Secretarum pour pouvoir s’attaquer à l’Être Suprême. Tu comprends pourquoi tu n’as pas intérêt à rater ton coup ?
— Ouais, il vaut mieux que j’y aille.
Chapitre 11
Le général démon reprit l’apparence de l’elfe aux ailes de scarabée puis s’en retourna vers Éolia au petit matin comme si de rien n’était.
Claire et Théo, toujours sous leur forme de mouches, s’envolèrent discrètement pour rejoindre leur chambre où ils reprirent apparence humaine.
— Tu as entendu comme moi : l’invasion est pour demain soir, dit Théo. Que fait-on ?
— D’abord on prévient Zéphyrus pour qu’il puisse organiser l’évacuation et la défense de l’école. Ensuite, je dois aller avertir Dahut du danger qui la menace. Si Lucifer récupère sa plante du bonheur, c’est comme si nous n’avions rien fait. Enfin, nous devrons neutraliser le général démon et faire en sorte que l’Agrippa leur échappe.
— Pendant que tu vas à Ys, j’irai à Pyrosia pour voir ce que je peux récolter comme renseignement sur ces fichus golems. Je n’y resterai que vingt-quatre heures. En revenant, je m’occuperai de l’Agrippa comme il me connaît déjà. Toi, vas prévenir Zéphyrus puis Dahut. On se retrouve ici demain midi. Nous ne serons pas trop de deux contre le démon.
Quelqu’un frappa à la porte.
— Qui est-ce ? demanda Claire d’une voix méfiante.
— C’est moi Alyzée bien sûr ! Prêts pour une nouvelle leçon ?
Les deux jeunes gens ouvrirent la porte à leur mentor et lui expliquèrent la situation. L’elfe devint toute pâle.
— Si c’est pour demain soir, nous n’avons pas de temps à perdre, dit-elle. Faites ce que vous aviez prévu mais attendez-moi pour affronter le démon. Je me charge de prévenir Zéphyrus et je donnerai les premières consignes pour l’évacuation d’Éolia cette nuit afin de ne pas éveiller les soupçons. Promettez-moi de m’attendre demain quand vous en aurez fini. Promettez-le !
Claire et Théo promirent.
Alyzée s’envola vers le terrain de polomage tandis que Claire se transformait en goéland pour rejoindre la baie de Douarnenez et la ville d’Ys.
Arrivée au-dessus de l’océan, elle s’y laissa tomber et plongea profondément. Elle demanda son chemin à un banc de petits poissons argentés qui se trouvaient là puis nagea le plus vite possible jusqu’à deux colonnes qu’elle reconnût pour les avoir déjà franchies une fois avec son ancienne mentor et amie Lélolia. Son souvenir la rendit triste mais elle n’avait pas le temps de s’épancher sur elle-même.
Elle passa entre les deux colonnes de ce qui avait dû être autrefois un arc de triomphe orné de motifs celtes. Des statues à moitié ensevelies représentaient, dans diverses postures, d’anciens personnages mythiques d’une époque révolue. De petits poissons s’amusaient parfois à folâtrer entre leurs bras ou leurs jambes qui dépassaient du sol.
Puis il y eut cette plaque de marbre brisée sur le sol et presque recouverte de coquillages et d’algues, sur laquelle étaient inscrites deux lettres Y et S. Ys ! Ys la magnifique, la célèbre cité des légendes !
Claire accéléra, passa d’abord entre les ruines de deux tours carrées sur lesquelles étaient encore accrochés les gonds de ce qui avait dû être une porte en bois gigantesque. Il n’en restait aujourd’hui que quelques planches recouvertes de grappes de petites moules.
Elle emprunta ensuite une sorte de fossé bordé par des murs de pierres recouverts d’algues, sans doute les anciennes digues qui entouraient la cité.
En nageant vers le haut pour passer au-dessus des murailles, elle aperçut les restes de jardins potagers et d’arbres fruitiers figés pour l’éternité sous l’eau par des concrétions de petits coquillages de toutes les couleurs qui les avaient recouverts.
Elle nagea en suivant une ancienne voie pavée sur laquelle le fond des mers reprenait peu à peu ses droits. Ce qui avait dû être une rue reliait l’ancien port aux hauteurs des collines où se trouvaient les décombres que Claire avait entraperçues.
Lorsqu’elle parvint au sommet, les ruines d’une ville s’étendaient à ses pieds. Les décombres des maisons trahissaient encore un style haut moyen-âgeux à base de chaume et de torchis. Les rues étaient bordées de restes de magasins dont certaines enseignes illisibles, accrochées au-devant des maisons, flottaient mollement au gré des courants sous-marins.
Il y avait beaucoup de petites églises au clocher de pierre si caractéristiques en Bretagne. Chacune était ornée de statuettes à l’effigie de diverses créatures des océans.
En surplomb, à un bon kilomètre de là, le château de Dahut, planté sur un monticule, dominait la ville. D’où elle était, Claire s’y dirigea.
Plus elle se rapprochait, plus les maisons devenaient élégantes. Il s’agissait maintenant de villas à l’architecture recherchée avec ici ou là des façades et des colonnes qui trahissaient une influence grecque ou au moins méditerranéenne. D’autres avaient de faux airs de riches pagodes asiatiques. Les quartiers les plus riches se situaient au pied du château où Claire se trouvait maintenant : un palais de pierres blanches avec des dizaines de tours au toit luisant et clair comme du cristal. Seul le donjon semblait échapper aux outrages que le temps et la mer infligeaient à la bâtisse.
Sans se donner la peine de passer par la porte d’entrée, elle nagea directement vers une des fenêtres du donjon où elle aperçut la même lueur que lorsqu’elle était venue la dernière fois. Claire fouilla dans sa mémoire pour se souvenir de la façon dont Lélolia avait frappée à la vitre afin de se faire reconnaître.
Une vieille sirène vint lui ouvrir. Elle portait la même blouse blanche de laborantine que lors de sa dernière visite et les mêmes grosses lunettes en écailles qui renforçaient l’aspect globuleux de ses yeux.
— Claire c’est toi ? demanda Dahut en la dévisageant.
— Oui, répondit la jeune fille. Je viens vous prévenir, il faut que vous partiez tout de suite !
— Mais pourquoi grand dieu !
— Lucifer le prince des enfers est au courant pour votre plante du bonheur. Celle dont vous m’aviez parlée la dernière fois. Et il veut vous la prendre. Vous allez être attaquée !
— Mais… mais, comment a-t-il pu en entendre parler ? Il n’y a que toi et Lélolia qui saviez ! C’est elle qui lui a dit ?
Claire baissa les yeux.
— Lélolia est morte. Elle a été tuée par des kevnid-nozs quand ils nous ont attaqués ici.
— La pauvre petite, voilà pourquoi je n’avais plus de nouvelles. Quel malheur !
Claire sentit des larmes lui monter aux yeux. Devant un tel désarroi, Dahut lui posa la main sur l’épaule dans un geste de réconfort.
C’est à ce moment précis qu’une sardine vint cogner plusieurs fois sa tête sur la vitre du laboratoire où elles se trouvaient.
— Qu’y-a-t-il donc ? lui demanda Dahut après être allée ouvrir.
— Des intrus, princesse ! Beaucoup d’intrus ! Des petits êtres très laids mi-araignées, comme ceux qui étaient déjà venus, mais cette fois des démons les accompagnent. Et pire que tout, des Morgans avec un kraken !
— Des Morgans ? Tu es sûre ? Je suis en paix avec les Morgans ! Lélolia la fille du roi était mon amie.
— C’est justement le roi qui est à la tête de tout cela, princesse.
Claire intervint.
— Il me tient pour responsable de la mort de Lélolia. Il a fait allégeance aux démons pour se venger.
— D’accord ! Combien sont-ils ? demanda-t-elle à la sardine.
— Je les estime à un millier.
— Un millier ? Rien que pour moi ? Voilà qui est flatteur !
— Les kevnid-nozs ont dû prévenir de quoi vous étiez capable, intervint Claire. La dernière fois ils s’étaient pris une sacrée raclée.
— Tu as raison. Là je vais devoir employer les grands moyens.
— Vous avez des créatures en réserve ?
— Non, je vais recommencer ce que j’avais fait une fois pour assurer la prospérité de ma ville.
— Vous allez invoquer les dragons de l’océan ?
— Tout-à-fait ! Cette partie de la légende était vraie, tu as une bonne mémoire dis-donc !
— Merci, répondit Claire en rougissant. Je pense qu’il serait plus sûr que vous détruisiez la plante du bonheur. Toutes les pousses qu’il vous reste. Si elle venait à tomber entre les mains de Lucifer, nous serions tous perdus.
Un choc sourd parvint à leurs oreilles. En regardant par la fenêtre, ils virent les troupes d’assaut détruire méthodiquement les maisons des premiers faubourgs de la ville d’Ys. Le kraken écrasait les constructions sous ses énormes tentacules puis les Morgans, les démons et les kevnid-nozs fouillaient les décombres.
Claire eut le cœur serré en apercevant le père de Lélolia prendre part aux opérations avec une ferveur mauvaise.
— Tu as raison, encore une fois, dit Dahut. Je m’occupe de cette armée de pacotille et je les détruirai. Ne t’inquiète pas pour moi.
— Lorsque vous aurez vaincu et que votre victoire parviendra aux oreilles de Lucifer, il enverra sa légion bleue et peut-être des golems d’orichalque pour se venger. Ce sont des créatures magiques qui ont le pouvoir des technos et se dupliquent à la première contrariété. Vous ne pourrez pas faire le poids même avec vos mille dragons. S’il vous plaît, fuyez ! Rejoignez Saurus, le prince des Supras. Vous serez à l’abri avec vos dragons et vous pourrez participer à la contre-attaque. Votre aide nous sera précieuse. Nous nous retrouverons là-bas.
— D’accord, va-t’en maintenant. Nage vers le sud jusqu’à être hors de vue puis remonte à la surface. Je dois aller en haut de la tour pour lancer mon invocation.
Claire s’exécuta. Elle nagea un moment puis regarda derrière elle. Dahut, petite silhouette sombre en haut de son donjon, agitait les bras.
Au pied de son donjon, une faille s’ouvrit dans le sol d’où des dragons aquatiques sortirent par dizaines.
Rassurée, la jeune fille nagea vers la surface, se métamorphosa en goéland à nouveau puis s’envola vers Éolia.
Chapitre 12
Après le départ de sa sœur pour la ville d’Ys, Théo fila dans sa chambre récupérer la cape folette. Il s’en recouvrit puis se métamorphosa en hirondelle de la taille d’un veau avant de s’envoler vers l’est.
Lorsqu’il parvint en vue de la forêt de Brocéliande, il vira et descendit se poser devant les forges de Paimpont où se trouvait, dans ses souvenirs, l’accès vers Pyrosia.
Ce ne fut pas difficile de le retrouver puis de le franchir mais il restait ensuite beaucoup de chemin à parcourir jusqu’à l’école et il ne fallait pas se faire repérer.
Toujours invisible grâce à sa cape, Théo parcourut l’itinéraire d’accès à l'école de la magie rouge le plus vite qu’il put puis s’arrêta à une centaine de mètres pour observer ce qui se passait. Le volcan surplombant l’école était toujours en activité.
Une dizaine de golems d’orichalque gardaient l’entrée des bâtiments, formant un mur infranchissable.
Heureusement, comme ces créatures étaient les seules à pouvoir voler, elles n’avaient pas juger bon de garder les accès en hauteur.
Théo repéra une fenêtre ouverte et s’y dirigea. Il allait s’y engouffrer lorsqu’il se heurta à une barrière invisible qui le déséquilibra et le fit tomber. Une alarme retentit dans toute l’école et les golems en faction devant l’entrée se dirigèrent comme un seul homme vers l’endroit où Théo s’était cogné.
Le jeune homme préféra battre en retraite et retourner à quelques distances des bâtiments. Cette barrière invisible lui rappela celle que Ganieda, la directrice d’Arcana, avait érigée pour protéger son école.
Théo souhaita d’abord attendre qu’une opportunité s’offre à lui mais comme son temps était compté et que son côté magister rouge était impatient, il préféra réfléchir à un autre moyen de passer à l’action.
Tous les accès étaient protégés.
Plongé dans sa réflexion, il ne sentit pas tout de suite la chaleur sur son visage. Le volcan en surplomb venait de cracher un nuage de scories qui auraient brûlé au troisième degrés un humain normal. Lui, cela ne fit que le chatouiller.
Mais…si le volcan crachait c’est que son cratère n’était pas soumis à la barrière invisible. Bien sûr ! Cela aurait été trop dangereux de poser un couvercle sur un volcan en activité.
La voilà la solution ! Il se rappela la lave qui arrivait dans la forge d’orichalque. Il lui fallait passer par le cratère du volcan pour entrer dans l’école.
Hors de question, cependant, de porter la cape folette dans le cratère sous peine de la brûler. Elle était bien trop précieuse pour courir un tel risque. Il devait la dissimuler quelque part.
Quand il trouva une cachette satisfaisante, il y déposa la cape, puis escalada le versant du volcan opposé à l’école jusqu’au cratère. En regardant à l’intérieur il repéra en contrebas les tunnels d’accès de la lave vers les forges de Pyrosia. Il redescendit le long de la paroi intérieure jusqu’à eux.
Il se souvint que la lave était récupérée à l’intérieur de l’école à chaque fois que le volcan entrait en éruption. Agogne, son ami Ignien lui avait expliqué que cela fonctionnait comme une soupape de sécurité pour éviter les débordements tout en servant à la forge d’orichalque et à la centrale thermique de l’école.
Une fois devant l’un de ces tunnels d’accès, Théo s’y laissa glisser jusqu’à buter contre un panneau en bois qui servait de trappe d’ouverture.
Il entendit des voix derrière, dont une qu’il lui sembla reconnaître. Il frappa contre le panneau.
— Agogne ? Agogne, c’est toi ?
Les voix se turent de l’autre côté.
— Agogne ! C’est moi Théo, ouvre !
— C’est impossible, répondit la voix familière. Celui dont vous parlez est mort. Partez avant que je ne signale votre intrusion !
— Arrête Agogne ! C’est moi je te dis, ma sœur m’a libéré des enfers où j’avais été emmené.
— Prouvez-le !
— Euh…tu as la lettre R tatouée sur le front parce que tu as redoublé ta scolarité mais nous avions décidé qu’elle ne signifiait pas redoublant mais remarquable.
Le panneau de bois se souleva prudemment.
— Théo ? C’est vraiment toi ?
Le jeune homme pénétra dans la salle de la forge. Il s’épousseta et regarda autour de lui. Tous les Igniens s’étaient réfugiés au fond de la salle et se serraient les uns contre les autres. Tous sauf un, avec un R sur le front, qui tenait encore la corde pour soulever la trappe en bois.
En voyant Théo, la petite créature relâcha tout et se précipita vers lui.
— Théo ! Mon ami ! C’est bien toi !
Puis, se tournant vers le groupe au fond de la salle :
— C’est Théo, vous savez, l’apprenti Supra qui avait dompté le Méphyste. Je vous en parle tout le temps.
Les autres Igniens s’approchèrent avec prudence, jusqu’à toucher Théo pour s’assurer qu’il était bien réel. Agogne reprit la parole :
— J’en ai entendu de belles sur ton compte. Raconte-moi ! Que t’est-il arrivé ?
— Je vais te la faire courte : j’ai été emmené aux enfers par un démon puis délivré par ma sœur. Nous avons roulé Lucifer qui maintenant se venge en aidant le Liber Ignis à capturer les autres Agrippas pour reformer le Liber Mundi. S’ils y parviennent, j’ai bien peur que ce ne soit la fin du monde. Le Liber Ignis utilise les golems d’orichalque en renfort des légions démoniaques. Ils ont déjà envahi presque toutes les écoles de magie et Tir-Na-Nog, le pays des fées. Après ce sera au tour de la terre des hommes. J’ai besoin d’aide. Comment ça se passe ici ?
— Depuis ton enlèvement, Saurus a destitué Ignacio Braséro, l’ancien directeur et l’a fait enfermer. Les tecknos, influencé par l’Agrippa du feu qui contrôle leur réseau, en ont profité pour prendre le pouvoir et faire secession. Ils nous obligent maintenant à utiliser l’orichalque pour fabriquer des armures pour les généraux de Lucifer et nous font travailler jours et nuits. Personne ne peut plus entrer ni sortir de l’école.
— Oui, j’ai vu en arrivant. Mais pourquoi tant de précautions ? Pyrosia n’est déjà pas facile à atteindre, reprit Théo.
— Je ne sais pas, répondit Agogne. Tout ce que nous avons remarqué c’est que le local des tecknos est gardé jours et nuits par des golems d’orichalque.
— C’est qu’il doit contenir quelque chose d’important. La dernière fois si ma mémoire est bonne c’est là que se trouvait l’Agrippa et le serveur des tecknos mais tout a été téléchargé dans le premier golem. Je n’y comprends rien ! Il faut que j’aille voir ce qui se passe.
À ces mots, tous les Igniens présents le regardèrent, apeurés.
— Ben quoi ? Qu’est-ce que j’ai dit ? demanda Théo.
— Si quelqu’un te voit sortir d’ici, nous risquons nos vies, répondit Agogne.
— Tu sais, depuis que je suis parti, j’ai appris deux trois petites choses, reprit Théo en souriant.
Il se transforma en mouche de feu puis vola en zonzonant jusqu’à la porte d’entrée qu’Agogne alla ouvrir pour lui permettre de sortir.
— Tu m’épateras toujours, chuchota-t-il, bonne chance !
Le jeune homme sous sa forme d’insecte vola en rasant les plafonds des couloirs jusqu’à la porte de la salle où il avait rencontré le Liber Ignis pour la première fois lors de sa scolarité à Pyrosia.
Il se posa en haut du mur en passant au-dessus des golems de garde puis descendit la paroi et passa par l’interstice au-dessus de la porte.
Dans la salle se trouvait toujours l’énorme ordinateur des tecknos sur lequel des centaines de leds s’allumaient et s’éteignaient comme sur un sapin de Noël.
C’était incompréhensible ! Pourquoi fonctionnait-il encore alors que tout avait été téléchargé dans le premier golem ?
Théo survola la machine et s’aperçut qu’elle connaissait un sursaut d’activité toutes les cinq minutes environ.
Il aurait bien voulu savoir ce qui se passait dans les circuits de ce satané tas de ferraille. Mais même s’il se transformait en puce ou en microbe, il ne pourrait que courir sur les câbles à l’intérieur ou les circuits imprimés sans savoir quelles étaient les informations stockées à l’intérieur.
Comment faire ? Les données informatiques étaient des suites de « un » et de « zéro ». « Un », le courant passe, « zéro » il ne passe pas. Zéro c’était le néant, rien. Il ne pouvait pas se transformer en rien. Il devait donc se transformer en « un ». « Un », le courant passe. Mais oui ! Il devait se transformer en pulsion électrique. Ignacio l'ancien directeur lui avait appris le vrai nom des électrons quand il était encore ici. Il s’en souvenait : Lektronem.
Il allait se changer en électron, en courant électrique pour pouvoir pénétrer dans cette machine infernale et savoir ce qui s’y passe.
Théo reprit forme humaine et entreprit de dénuder un des câbles de l’ordinateur. Dès que le fil de cuivre apparut, il se transforma en électron puis se laissa porter par le courant tandis qu’une alarme résonnait dans toute la pièce, provoquant l’irruption des deux golems de garde.
Mais le jeune homme s’en moquait. Il était désormais une toute petite boule d’énergie pure, prise dans un flot d’autres boules semblables qui se dirigeaient dans la même direction.
Théo sut qu’il était arrivé au cœur de l’ordinateur lorsque toutes les autres boules d’énergie partirent dans tous les sens sur différents circuits. Il changea de forme et matérialisa un bras lumineux pour s’accrocher et demeurer à l’endroit où il se trouvait, en vue d’observer ce qui se passait.
C’est alors qu’il remarqua une autre boule d’énergie, comme lui, accrochée dans un coin.
Théo s’approcha d’elle en prenant soin d’éviter les autres électrons. C’était comme traverser une autoroute, mais finalement il y parvint. Si l’autre boule restait comme lui dans un coin, c’est qu’elle le voulait, donc qu’elle avait sa volonté propre.
— Qui êtes-vous ? lui demanda Théo lorsqu’il fut à sa hauteur après avoir matérialisé une bouche.
À sa grande surprise une bouche se matérialisa aussi sur l’autre électron qui lui répondit :
— Vous qui êtes-vous, c’est vous qui êtes arrivé en dernier !
— Je m’appelle Théo.
— J’ai connu quelqu’un qui s’appelait comme vous mais il est mort d’après les données que j’ai vu passer ici.
— Comment s’appelait-il ?
— Théo, Théo le Bihan. C’était un apprenti Supra que j’ai presque formé.
— Je suis Théo Le Bihan, apprenti-Supra… Calcinia ?
L’électron prit la forme lumineuse d’une silhouette que le jeune homme connaissait bien pour l’avoir souvent admirée.
— Oui, c’est moi. Tu es vraiment Théo Le Bihan ?
À son tour, Théo prit la forme lumineuse de sa silhouette humaine.
— Comme vous pouvez le voir, répondit-il.
— Ça alors ! Mais que fais-tu ici ?
— L’annonce de ma mort était prématurée. Vous par contre, vous avez été désintégrée par Ignacio, je vous ai vu.
— Non, ce que tu as vu c’est ma transformation in-extremis en électron. Mais c’est vrai que j’ai perdu mon corps physique, puis je suis venue ici pour me cacher.
— Je… je… pardon, commença Théo, mais vous avez l’air plus cool que quand vous étiez mon mentor.
— À ce sujet, je te présente mes excuses, mais tu sais ce n’était pas vraiment moi. Le Liber Ignis me possédait. J’étais toujours dans mon corps mais seulement comme spectatrice. Il s’est servi de moi pour faire fabriquer son golem d’orichalque. J’ai pu redevenir moi-même quand il n’a plus eu besoin de moi, à savoir quand il s’est téléchargé dans le premier golem.
— Et vous savez ce qui s’est passé depuis ?
— Bien sûr, nous sommes dans le processeur ici, au cœur de l’action. Je sais pratiquement tout ce que sait le Liber Ignis. Ce n’est d’ailleurs plus très judicieux de l’appeler ainsi depuis qu’il a déjà fusionné avec deux autres Agrippas.
— Mais je pensais que tout était dans le premier golem, dit Théo.
— C’est le cas. Toutes les informations sont dans le golem, mais il a besoin du serveur pour transmettre ses ordres aux autres golems et aux tecknos. Il le fait à chaque mise à jour, toutes les cinq minutes. Tout est ensuite redistribué sur le réseau à chacun des connectés.
— Si je comprends bien, ici, nous sommes reliés à tous les golems et les tecknos ?
— Exact !
— Ignacio m’avait dit que la seule façon de vaincre les golems était de télécharger le mot « Mort » à la place du mot « Vie ». Puisqu’on est ici, nous pourrions le faire.
— Bonne idée, mais le Liber Ignis n’est pas si bête. Il a mis en place des pares-feux qui empêchent la distribution de tout nouveau mot s’il ne vient pas de lui.
Le temps passait vite et la personnalité de Théo devenait plus fragile.
— Je dois y aller, dit-il à Calcinia. Mais restez cachée, je reviendrai vous chercher et je vous libèrerai.
— Merci, dit Calcinia. Je sais que je ne te laissais pas indifférent même si ce n’était pas vraiment moi. Tu as grandi et je peux bien te l’avouer maintenant : tu me plais aussi.
S’il avait pu, Théo aurait rougi de plaisir mais il préféra se laisser emporter par le courant électrique puis quitta le serveur en choisissant un circuit qui l’envoya dans un néon au plafond d’un couloir de Pyrosia.
Il en sortit en accumulant suffisamment d’énergie pour provoquer une surcharge qui fit éclater le tube et le libéra.
Après avoir repris forme humaine un court instant, il se retransforma en mouche à feu.
Chapitre 13
Il revint à la forge en zonzonant, repassa sous la porte et reprit forme humaine.
Agogne vint tout de suite aux nouvelles tandis que les autres Igniens ne lui prêtaient plus d’attention, préférant poursuivre leur travail pour ne pas avoir d’ennuis.
— Alors ? demanda la petite créature.
— J’ai pu m’introduire sur le serveur. Je sais ce que je voulais savoir, mais pas encore comment vaincre les golems d’orichalque.
— Pouvons-nous faire quelque chose pour t’aider ?
— Pas pour l’instant. Vous pourriez toujours forger vos armures en y incluant un petit défaut que je serais le seul à connaître. Cela me donnerait un avantage.
— Marché conclu. Nous ferons en sorte qu’il y ait un endroit un peu plus fragile à la base du cou. Rappelle-toi : à la base du cou sur les armures en orichalque.
— C’est noté, merci beaucoup ! Je dois partir maintenant. C’est un au-revoir, pas un adieu. Dès que je saurai comment infecter le réseau des golems, je viendrai programmer le virus ici sur le serveur. Nous nous reverrons.
— À bientôt j’espère alors, dit Agogne en lui serrant chaleureusement la main.
— Oui à très bientôt, répondit Théo.
Son ami Ignien alla soulever la trappe en bois qui fermait l’accès au conduit de lave puis le jeune homme s’y introduisit et ressortit de la même façon qu’il était entré.
Il redescendit le long du cratère, récupéra la cape folette dans sa cachette et s’en recouvrit avant de se retransformer en hirondelle géante et de s’envoler vers les forges de Paimpont.
Son escapade avait duré une vingtaine d’heures. Il n’avait pas pu dormir et se sentait épuisé. C’est avec soulagement qu’il parvint en vue d’Éolia.
Il vola jusqu’à sa chambre où sa sœur l’attendait. Elle fut surprise de le voir émerger de sous la cape une fois qu’il eut repris forme humaine.
— Alors, tu as eu besoin de la cape folette ? lui demanda-t-elle.
— Oui, j’ai pu m’introduire sur le réseau des golems et des tecknos. Je sais comment cela se passe et ce qu’il faut faire.
— Tu as pu… quoi ? Bon peu importe tu m’expliqueras plus tard si on a le temps. Que faut-il faire donc ?
— Remplacer le mot « vie » en vrai langage par le mot « mort » sur le réseau. En cinq minutes, il sera distribué à tous ceux qui y sont connectés et tous les golems seront désactivés.
— Et tu le connais, toi, le mot « mort » en vrai langage ? interrogea Claire.
— Non, mais je pensais que toi, comme tu avais côtoyé l’Ankou, tu aurais peut-être des infos.
— Non désolée ! La seule chose qu’il m’a dite c’est que la Mort n’existait pas.
— Alors là on est mal. Comment c’est possible ? Tout le monde meurt pourtant !
— En fait il m’a dit que soit c’est la fin de la vie avec le néant après, soit c’est juste un passage vers l’Au-delà.
— Ok, on réfléchira à ça quand on pourra. Pour l’instant j’ai besoin de dormir.
— Désolé, mais l’attaque étant pour cette nuit, j’ai bien peur que tu ne doives dormir plus tard. Il faut prévenir l’Agrippa je te rappelle.
— Tu as raison, soupira le jeune homme, j’y vais.
Il sortit et scruta le ciel pendant quelques minutes avant de repérer l’Agrippa qui tournoyait et virevoltait autour de la tête de la statue du dragon d’orichalque.
Théo réfléchit à la façon dont il pourrait aborder l’énorme livre. Ce dernier ne laissait aucun oiseau s’approcher par peur des fientes sur sa couverture ou sur ses pages. Un insecte serait à la merci du moindre remous provoqué par ses manœuvres aériennes. Il allait falloir jouer serrer : s’envoler jusqu’au-dessus de lui puis reprendre forme humaine et se laisser tomber sur lui. Pas évident pour quelqu’un qui ne savait pas encore voler sous sa véritable forme, mais le temps pressait !
Il se transforma d’abord en roitelet dont il avait appris le vrai nom sur une des listes qu’Alyzée leur avait donnée. Il s’envola ensuite, puis fit un grand détour pour arriver bien au-dessus de l’Agrippa qui ne se doutait toujours de rien.
Lorsque le livre décida de planer un peu, Théo reprit forme humaine et se laissa tomber. L’Agrippa, surpris, fit un écart et Théo n’eut que le temps de s’accrocher à une corne de la tête du dragon en orichalque qui semblait protéger l’école.
— Mais qu’est-ce qui vous prend ? lui demanda le grand livre en s’approchant.
— L’école va être attaquée cette nuit par une légion démoniaque qui veut vous capturer. Vous devez fuir, répondit Théo.
— Pardon ?
Un éclair venu du sol les frôla tous les deux.
— Fuyez ! hurla Théo au livre.
Un second éclair vint frapper Théo qui hurla de douleur et s’évanouit en lâchant prise. L’Agrippa se glissa sous lui et l’emporta alors que d’autres décharges électriques tentaient de les atteindre.
Poussé par un vent du nord glacial, le livre attrapa un courant d’air chaud ascendant et se laissa emporter jusqu’au sommet d’un cumulo-nimbus sur lequel il attendit que Théo reprenne conscience.
Cela nécessita quelques minutes qui permirent à Zéphyrus, Alyzée et Claire de les rejoindre tous les deux.
— Que… que s’est-il passé ? demanda Théo groggy.
— D’après ce que nous avons pu voir, tu as été attaqué par le général-démon, répondit Claire.
— Nous avons voulu l’appréhender mais il s’est enfui et nous ne parvenons pas à le retrouver, continua Alyzée.
— Il est encore dans les parages, intervint Zéphyrus. Il ne peut pas partir si c’est lui qui doit guider la légion jaune jusqu’ici.
— Oui, reprit Claire, mais il peut s’être métamorphosé en n’importe quoi. Ne peut-on pas le contrer ?
— J’ignore ce qu’il sait. Il a dû s’apercevoir de la fébrilité qui a gagné l’école devant l’invasion imminente. L’évacuation des apprentis ne pouvait pas passer inaperçue. Il doit se douter que nous savons ce qu’il mijote et cela va rendre sa tâche beaucoup plus difficile sans l’avantage de la surprise.
À cet instant, une violente déflagration résonna en contrebas.
— Cela vient du terrain de polomage ! annonça Alyzée en se penchant pour regarder, accompagnée par Claire.
Le nuage de papillons de nuit qui assurait la surveillance de l’école venait de voler en éclats.
— NON ! hurla Claire. Il a vu que nous avons compris alors il change de tactique !
— Les cercles de pierre ! s’exclamèrent simultanément Alyzée et Zéphyrus qui descendirent aussitôt en piqué.
Claire constata qu’il était trop tard. Les planches d’acier que Théo avait mises en place venaient de voler en éclats et les premiers démons ailés de l’unité de reconnaissance faisaient leur apparition.
— IL FAUT LES REBOUCHER ! hurla Théo à sa sœur pendant qu’elle amorçait une métamorphose en faucon. CELA NOUS FERA GAGNER UN PEU DE TEMPS AVANT L’ARRIVÉE DE LA LÉGION JAUNE. VOUS, VOUS RESTEZ LÀ, cria-t-il à l’Agrippa.
Puis il se transforma en faucon à son tour, avant de descendre en piqué à la suite de Claire jusque sur le terrain de polomage.
Au-dessus d’eux, des démons volants faisaient exploser des grappes de sylphes qui tentaient de les empêcher d’approcher de l’école tandis que des magisters jaunes se regroupaient en formation dans le ciel avant d’attaquer. Cependant, les créatures infernales étaient trop rapides. Elles évitaient pratiquement tous les sorts qui leur étaient envoyé.
Une fois atterris devant le cercle de pierre le plus proche de l’école, celui dont les planches d’acier avaient explosé, Claire et Théo reprirent forme humaine et se concentrèrent pour accumuler du Numineux. Ils parvinrent à replacer une première planche puis une deuxième. Ils allaient terminer la troisième quand quelqu’un hurla : « ATTENTION ! »
À peine eurent-ils le temps de baisser la tête qu’un éclair venait frapper le cercle de pierres. Le général-démon avait repris sa véritable apparence et ne comptait pas les laisser faire !
Une ombre tomba du ciel ! Alyzée vint s’interposer entre eux et le démon puis lança un rayon qui projeta ce dernier à l’autre bout du terrain.
— CONTINUEZ ! leur lança-t-elle en demeurant en protection.
La dernière planche était à peine fixée qu’un impact lourd vint résonner contre elle de l’autre côté.
— Cela ne suffira pas ! dit Claire, il faut les enterrer !
— Ils ont essayé sans succès répondit Théo.
— À nous deux nous pouvons déplacer suffisamment de terre pour le faire, insista sa sœur.
Ils se concentrèrent et soulevèrent plusieurs tonnes de terre qu’ils déversèrent sur le cercle de pierre.
— À l’autre maintenant ! dit Théo.
Les planches d’acier du second cercle étaient déjà portées au rouge par quelque chose de l’autre côté.
Claire et Théo se concentrèrent à nouveau et firent la même chose que pour le premier. En un instant, lui aussi fut recouvert de plusieurs tonnes de terre. Mais il y avait désormais deux trous béants dans le terrain de polomage.
— BIEN JOUÉ ! cria Alyzée en regardant la butte.
Cette seconde d’inattention lui fut fatale. Un rayon noir lancé par le général démoniaque la vaporisa en une fraction de seconde.
Au-dessus, la bataille faisait rage. Les démons de l’unité de reconnaissance n’avaient pas tous pu venir. Ceux qui étaient là étaient trop peu nombreux et se faisaient contenir par les magisters jaunes de l’école, Zéphyrus en tête.
— Vous ne faites que retarder l’inévitable, gronda le général démoniaque en s’approchant de Claire et Théo. La légion jaune est déjà sortie du Yeun-Ellez, ils seront tous bientôt là.
Claire dégaina Excalibur.
« Enfin un peu d’action ! » lui transmit l’épée.
Le général envoya un rayon de magie noire qu’Excalibur absorba, au grand étonnement de Claire.
« Comment ? » pensa-t-elle.
« Tu ne connais pas encore tous mes talents, jeune fille. Maintenant à l’attaque si tu veux te débarrasser de lui ! »
Claire se précipita, l’épée haute, vers le démon qui préféra s’enfuir.
« Poursuis-le ! lui transmit l’épée. Allez vas-y ! Qu’est-ce que tu attends ? »
« Il faut d’abord se débarrasser des autres », pensa Claire.
« Mais non, insista l’épée. C’est lui le chef ! Tu le tues et ils seront désorganisés ! »
« Non, répondit Claire. Ils connaissent tous le plan. Je préfère faire dans la quantité que dans la qualité pour l’instant. »
« D’accord je m’en contenterai, allons-y, allons-y ! » continua l’épée.
— Théo, tu vas te transformer en aigle géant et je vais monter sur ton dos. Je ne peux utiliser Excalibur que sous ma forme humaine !
— C’est parti, répondit le jeune homme qui s’exécuta aussitôt.
Sa sœur fut admirative.
— Dis-donc ton nouveau nom a l’air de vraiment bien fonctionner.
« Allons-y ! Allons-y ! » lui transmit l’épée qui vibrait de rage dans sa main.
Claire prit place sur le dos de son frère qui s’envola à l’assaut des démons volant encore dans le ciel.
Excalibur fit merveille entre les mains de la jeune fille qui parvint à se débarrasser d’une quinzaine d'adversaires.
Voyant que la situation tournait à leur désavantage, les autres rompirent l’assaut pour se regrouper un peu plus loin. Ils semblaient attendre quelque chose.
Claire et Théo comprirent lorsqu’ils virent au loin ce qui ressemblait à un nuage d’oiseaux avancer contre le vent.
— La légion jaune arrive ! murmura Claire effrayée.
Chapitre 14
Les démons qui étaient parvenus à passer par le cercle de pierre cessèrent le combat pour rejoindre la légion jaune qui arrivait tel un nuage menaçant. Le reste de leur unité de reconnaissance était en avant de la formation. Lorsqu’ils l’eurent rejoint, ils revinrent vers Éolia.
À l’aide de leurs fourches, ils commencèrent par percer une brèche dans la clôture entourant l’école puis ils se postèrent en cercle au-dessus du terrain de polomage. Les démons placés en périphérie tiraient sur tout ce qui bougeait afin de protéger ceux de l’intérieur du cercle qui, eux, s’employaient à détruire méthodiquement les pointes qui hérissaient le terrain.
— Ils veulent dégager une zone pour faire atterrir leurs troupes ! cria Claire à Théo. On doit faire Éclater ce cercle ! Passe en dessous et ressors par le trou du terrain juste à côté !
L’aigle Théo ne se fit pas prier. Il cabra sur la droite et vira jusque sous le rocher. Comprenant leur manœuvre, un petit groupe de magisters jaunes de l’école dirigé par Zéphyrus vint se placer en protection autour d’eux et les accompagna.
Les démons ne s’attendaient pas à une attaque par en dessous. Leur dispositif éclata comme un jeu de quilles et ils furent tous rapidement neutralisés. Excalibur se surpassa. Claire pouvait à peine la tenir, mais à elles deux, elles se débarrassèrent d’une dizaine de créatures des enfers.
Ce n’était que le début.
Déjà les jeunes gens pouvaient voir s’approcher les régiments de chauve-souris vampires qu’ils avaient observés auparavant. D’après la distance, ils seraient sur eux dans une dizaine de minutes.
Claire fit signe à Zéphyrus et pointa un doigt dans la direction de la légion jaune. L’elfe prit un cor qu’il portait en bandoulière et souffla dedans. Une note rauque résonna. Des portes s’ouvrirent au pied de l’école, libérant vingt gros lézards qui vinrent prendre position aux quatre coins du terrain de polomage.
Claire et Théo n’avaient jamais vu de tels Impossibles, mais ils comprirent leur utilité lorsqu’ils les virent cracher du feu vers l’avant-garde des régiments démoniaques qui s’approchaient en volant. Quatre chauves-souris géantes tombèrent avec un panache de fumée.
Les fourches des chevaucheurs démons du régiment de tête ripostèrent aussitôt. Les vampires se déployèrent en arc de cercle autour du terrain de polomage tandis que leurs cavaliers lançaient leur foudre sur les gros lézards qui s’effondrèrent les uns après les autres, non sans avoir encore détruit une vingtaine de chauves-souris géantes. Les démons s’employèrent ensuite à faire disparaître les pieux plantés sur le terrain de polomage.
L’autre régiment de chauve-souris les dépassa par la gauche puis se déploya pour attaquer tout ce qui volait au-dessus de l’école.
Claire et Théo, obligés de combattre dans les airs, ne purent empêcher le nettoyage du terrain de polomage pour permettre l’atterrissage d’une première barge : celle des dragons dégénérés.
Aux ordres de leurs maîtres, ces derniers crachèrent des flammes sur la clôture autour du terrain qui partit en fumée, puis ce furent les quelques pieux qui restaient sur le terrain de polomage. Lorsqu’ils eurent terminé, ils visèrent tout ce qui n’était pas démoniaque dans le ciel.
L’un deux prit à partie Claire qui terminait de se débarrasser d’un démon sur sa chauve-souris. L’aigle Théo vira brusquement sur la droite pour éviter le jet enflammé.
— Hé ! cria Claire en se cramponnant à ses plumes. Tu pourrais prévenir !
Théo piqua vers le dragon et lui creva les yeux avec ses serres. Il reprit ensuite de l’altitude alors que le monstre hurlait de douleur en crachant des flammes n’importe où, brûlant le dresseur d’un autre dragon à côté de lui. Libéré, ce dernier cracha des flammes indifféremment sur les démons et leurs adversaires. Plusieurs tombèrent.
L’aigle Théo redescendit en piqué et Claire coupa la tête de chacun des dragons avec Excalibur.
Ils se précipitèrent ensuite sur les ballons de la première barge contenant les démons à pieds et en crevèrent suffisamment pour qu’elle renverse tous ceux qu’elle transportait.
Pendant ce temps, une deuxième barge avait eu le temps de passer et d’atterrir. L’invasion terrestre débutait. Les chauves-souris rompirent leurs combats et vinrent se placer en protection au-dessus des barges d’assaut qui continuèrent à faire débarquer toujours plus de démons à pieds.
Les magisters jaunes ne parvenaient plus à s’approcher.
Claire et Théo rejoignirent Zéphyrus qui avait pris de la hauteur.
— Que faites-vous ? lui cria Claire.
— J’essaye de voir oÙ contre-attaquer !
— Ce n’est plus possible, ils sont trop nombreux ! Tout est perdu vous devez fuir et emporter l’agrippa.
— Non ! CRIA Zéphyrus. J’ai une dernière carte à jouer. Si ça tourne mal, c’est vous qui emmènerez l’agrippa. METTEZ-LE en sécurité. Il ne faut pas qu’il soit capturé sinon tout est perdu !
Le directeur d’Éolia alla ensuite se poster au-dessus de la tête de la statue géante du dragon d’orichalque. La tête de ce dernier commença à briller, puis ce fut le cou, le torse et les pattes.
Le dragon se redressa. Il regarda le champ de bataille et s’y dirigea lourdement.
De là où ils étaient, Claire et Théo restèrent bouche bée. Zéphyrus donnait des ordres à la statue qui se pencha sur le terrain de polomage et d’un seul geste de la main, en chassa les démons à pieds comme s’il s’était agi de vulgaires mouches. En un instant, ils tombèrent du rocher suspendu dans le ciel avec des hurlements de peur.
L’espoir revint dans le camp de la magie jaune. Tous vinrent se regrouper derrière le dragon qui fit battre ses immenses ailes, provoquant un ouragan qui dispersa les formations des régiments de chauves-souris géantes.
Les magisters jaunes se lancèrent à leur poursuite et les descendirent les unes après les autres.
Claire se concentra et fit souffler un courant d'air du Nord en tempête pour faire chavirer la dernière barge, qui ne put résister.
— ON A GAGNÉ ! cria-t-elle en levant les bras en l’air.
— Regarde qui nous rend visite ! dit Théo.
Un dragon blanc transparent vint planer au-dessus de l'école. Le vent du Nord ! Il chercha un instant puis remarqua Claire et se dirigea vers elle.
Soudain quelque chose lui fit tourner la tête et il s'en alla. Claire remarqua à côté d’elle des oiseaux qui s’enfuyaient, terrorisés.
À l’horizon, un autre nuage noir s’approchait. Des rayons rouges s’en échappaient et frappaient indifféremment tout ce qui passait à sa portée.
La jeune fille pâlit en comprenant.
— Les golems ! murmura-t-elle.
À nouveau, les magisters jaunes battirent en retraite pour se regrouper derrière le dragon géant qui partit intercepter les créatures d'orichalque, mais les golems recouvrirent entièrement ce dernier tel un essaim de guêpes et quand l’essaim se dispersa, la statue tomba en morceaux.
Les deux jeunes gens virent Zéphyrus se faire désintégrer presque aussitôt. Les magisters jaunes s’enfuyaient. Éolia était perdue !
Théo avec sa vision de rapace repéra l’Agrippa en vol stationnaire très haut au-dessus de l’école.
— Accroche-toi, cria-t-il à sa sœur.
Il battit des ailes pour s’engouffrer dans le premier courant d’air chaud ascendant et vola le plus vite possible vers le livre.
En les voyant arriver, ce dernier commença par s’enfuir.
— Arrêtez ! cria Claire.
— Il ne nous reconnaît pas, lui dit Théo. Déjà qu’en temps normal, il évite les oiseaux alors un aigle géant, tu penses !
— Dans ce cas, redeviens humain !
— T’es folle ! On va tomber tous les deux !
— Oui et il viendra nous sauver ! Au pire, on se métamorphosera avant de s’écraser.
— Ben tiens ! on va se faire tirer dessus. Je me vois mal me concentrer dans de telles conditions !
— On n’a pas le choix il est trop rapide pour nous !
Sans attendre que son frère ne réponde quoique ce soit d’autre, elle sauta dans le vide.
— Tête de mule, grogna son frère qui reprit sa forme humaine et se laissa tomber en criant vers le livre.
L’Agrippa sembla d’abord ne pas les entendre, puis il fit demi-tour et s’approcha d’eux pendant leur chute
— Que voulez-vous ? leur demanda-t-il en faisant défiler ses pages.
— L’école est perdue ! cria Théo. Zéphyrus nous a demandé de vous mettre à l’abri !
— Mais où ?
— Oui d’ailleurs où ? demanda Théo à Claire.
— Nous devons réfléchir, emmenez-nous en altitude ! commanda cette dernière au livre.
L’Agrippa continua de les accompagner dans leur chute sans rien faire d’autre.
— S’il vous plaît, ajouta Claire.
Le livre s’ouvrit et passa sous les deux jeunes gens pour les récupérer. Puis, tous trois remontèrent à l’abri au-dessus des nuages. Le livre cessa de s’élever quand Claire et Théo commencèrent à avoir du mal à respirer à cause de l’Altitude. Ils s’approchèrent du bord et regardèrent.
En dessous, la bataille était finie. Des petits points sombres avec des reflets métalliques recouvraient le terrain de polomage. Quelques flashs indiquaient des explosions ici et là dans Éolia. Les golems d’orichalque étaient sans doute en train de nettoyer des poches de résistance des derniers magisters jaunes réfugiés dans les bâtiments de l’école.
— On va devoir jouer serrer ! dit Claire. L’école est envahie, donc notre chambre aussi !
— En plus ils cherchent tous l’Agrippa, dit Théo.
— Il faut qu’on récupère nos sacs et qu’on trouve un endroit avec une porte... commença Claire.
— …dans laquelle on enfoncera la clé pour aller au pays des rêves ! Excellente idée, termina Théo. L'Agrippa y sera à l'abri.
Chapitre 15
— D’abord il nous faut camoufler le livre de façon à ce qu’il ne soit pas découvert. Nous aurons ensuite tout le temps de nous transformer pour rejoindre notre chambre, déclara Claire.
— Vu l’altitude où nous sommes, nous n’avons qu’à le mettre au milieu d’un nuage, dit Théo.
— Bonne idée mais pour pouvoir en créer un, il nous faut son vrai nom, reprit sa sœur. Et de mémoire, cela ne faisait pas partie des listes d’… Alyzée.
L’évocation de leur mentor, tuée pendant l’attaque d’Éolia fit monter les larmes aux yeux de Claire.
Théo la réconforta en lui tapotant l’épaule. Lui aussi avait été touché par le décès de l’elfe.
Les deux enfants partagèrent leur tristesse sans rien dire pendant un moment, jusqu’à ce que le coin d’une page de l’Agrippa fasse signe à Théo d’écrire quelque chose.
Le jeune homme ne se fit pas prier.
« Que voulez-vous ? » inscrivit-il sur la grande page blanche où ils étaient assis.
Les mots disparurent aussitôt puis réapparurent en formant une nouvelle phrase.
« Il n’existe pas de nom générique pour « nuage ». Il faut que vous précisiez lequel vous souhaitez connaître et je vous le donnerai. »
— Je pense qu’un simple nimbus devrait suffire, non ? demanda Claire à Théo.
Le jeune homme opina du chef et inscrivit « nimbus » sur le grand livre. Le mot disparut pour réapparaître en un instant sous sa forme en vrai langage : « LAPONGLAVETEM ».
Claire accumula du numineux et forma un petit nimbus qui les enveloppa tous les trois.
— Bien, maintenant que l’Agrippa est camouflé, nous devons nous métamorphoser pour rejoindre nos chambres. Que proposes-tu ? demanda-t-elle à son frère.
— Les mouches ! On maîtrise maintenant !
— Ça me va, mais nous sommes trop haut. Une mouche ne peut survivre à cette altitude. Nous devrions peut-être commencer par nous transformer en faucons puis en mouche après.
— Non ! L’utilisation du Numineux nous ferait briller et nous serions repérés. Le faucon, c’est bien aussi. Autant rester faucon tout le temps, dit Théo.
Ainsi firent-ils.
Dès qu’ils furent métamorphosés, ils s’élancèrent dans le vide et déployèrent leurs ailes. Ils descendirent ensuite en planant jusqu’à ce qu’ils repèrent l’entrée de leur chambre puis ils se laissèrent tomber en piqué et se posèrent devant.
Deux démons sans aile venaient d’y pénétrer avec l’intention ostensible de tout fouiller. Claire et Théo les suivirent.
Lorsqu’ils les virent, les démons tentèrent de les chasser, mais les jeunes gens reprirent forme humaine et Claire se débarrassa d’eux. Ou plutôt : Excalibur fut à peine dégainée qu’elle entraîna Claire et réduisit les deux créatures infernales en chair à pâtée.
La jeune fille eut du mal à la remettre dans son fourreau tant l’arme sentait les démons autour d’eux et voulait en découdre.
Théo avait déjà repris son sac et récupéré la clé des songes. Il prit ensuite celui de sa sœur et en sortit la cape folette.
— Vite ! Quelqu’un vient ! lui dit-il.
À peine furent-ils recouverts de la cape pour se rendre invisibles que deux autres démons, accompagnés d’un golem d’orichalque, entraient en vue de vérifier d’où provenaient les bruits de lutte.
— Que se passe-t-il ici ? demanda la voix métallique du golem.
— Nous avons entendu une bagarre et visiblement deux démons ont été anéantis par quelque chose ou quelqu’un, répondit l’un des deux diables.
— Allez donner l’alerte ! Je vais inspecter les lieux ! reprit le golem.
— Nous ne sommes pas à tes ordres, saleté de machine ! lança le même démon.
Le golem tendit la main vers lui et la créature infernale disparut dans un rayon rouge, puis il regarda l’autre démon.
— Ça va ! Ça va ! On ne va pas s’énerver pour si peu ! J’y vais !
À peine fut-il sorti que le golem pénétra dans la chambre, s’approcha du premier lit et le retourna sans effort.
Claire et Théo longèrent le mur, toujours invisibles sous la cape, puis ils traversèrent la pièce en évitant le golem lorsque celui-ci s’approcha du second lit.
Leur mouvement provoqua un courant d’air que le golem remarqua. Il s’immobilisa et regarda de tous les côtés, puis, ne voyant rien, retourna le second lit avant de sortir de la pièce.
— Dépêchons-nous de partir ! dit Claire. Il faut aller retrouver l’Agrippa.
— Mais si nous nous retransformons, nous ne pourrons plus tenir la cape pour nous recouvrir ! dit Théo.
— Je vais me transformer et tu vas monter sur mon dos. C’est toi qui maintiendras la cape sur nous.
— La cape ne pourra jamais recouvrir un faucon géant, on va quand même se faire repérer, dit Théo.
— Tu as raison. Si je résume : je dois me transformer en un oiseau assez grand mais qui tient sous la cape folette et toi en quelque chose d'assez petit pour que je t'emporte. Tu devras t'accrocher à moi et tenir la cape en même temps.
— Nous connaissons le vrai nom du condor, cela devrait suffire en ce qui te concerne. Moi je devrais pouvoir me servir de mes jambes avec autant d'agilité que de mes mains pour m'accrocher et tenir la cape. Je dois en plus être suffisamment petit pour tenir sur toi. Je pense qu'un singe capucin fera l'affaire, conclut le jeune homme.
Sans attendre, Claire prit la forme d’un condor. Son frère se métamorphosa en capucin et vint s’asseoir derrière son cou. Il ajusta ensuite la cape sur lui et sa sœur puis Claire prit son envol.
Ils parvinrent à rejoindre l’Agrippa sans encombre. Le livre s’ouvrit pour les accueillir. Claire et son frère reprirent forme humaine et tous trois disparurent sous la cape folette.
« Et maintenant ? » écrivit l'ouvrage.
— Maintenant nous devons trouver une pièce avec une porte, dit Théo.
— La seule que je connaisse qui ait une porte à Éolia, c’est le bureau de Zéphyrus, répondit Claire.
« Exact, c’est la seule. » écrivit l’Agrippa.
— Tant mieux, dit Théo. Elle est au sommet de l’école. Nous pourrons nous en approcher discrètement.
Sans plus attendre, le livre descendit en vol plané jusqu’au sommet de l'école où se trouvait l’ancien bureau de Zéphyrus. Par chance, la porte était ouverte.
Ils y pénétrèrent puis refermèrent derrière eux le plus discrètement possible avant de retirer la cape folette.
— Tiens ! Tiens ! Quelle bonne surprise, et avec l’Agrippa en plus ! dit une voix derrière eux au fond de la pièce.
Ils se retournèrent dans un sursaut.
Le général-démon commandant la légion jaune leur faisait face. Il lança une boule d’énergie noire.
Claire et Théo l’évitèrent en bondissant chacun d’un côté de la pièce tandis que l’Agrippa alla se plaquer contre le plafond.
Claire dégaina Excalibur et se rua à l’attaque.
Le démon para son premier coup avec une de ses ailes puis, d’un coup de sa main griffue, la renvoya heurter violemment le mur d’en face. Groggy par le choc, la jeune fille eut du mal à se relever.
Théo accumula du Numineux et ses deux bras s’enflammèrent. Il vint se poster devant sa sœur et envoya des boules de feu vers le démon qui se protégea encore avec ses ailes.
L’Agrippa en profita pour foncer sur lui et le heurter.
Claire se releva d’un coup. Son frère remarqua que ses yeux avaient pris une couleur noire très inquiétante. Elle se précipita sur le général-démon, l’épée haute. Ce dernier lui envoya encore une boule d’énergie noire que la jeune fille absorba sans que cela lui fasse le moindre effet.
La bouche de cette dernière écumait d’une bave grisâtre et moussue. Elle frappa le démon à plusieurs reprises à toute vitesse, lacérant d’abord ses ailes puis taillant ses bras en morceaux alors que la créature les mettait devant son visage pour se protéger. Elle s’acharna ensuite sur la tête du démon et le reste de son corps avec une telle rage qu’il n’en restât bientôt plus que de la charpie.
Théo ne reconnaissait plus sa sœur qui semblait se battre en accéléré. Elle était comme possédée par une violence qui se déchaînait à un tel point que son frère en fut presque effrayé.
— Claire, Claire ! appela-t-il pendant que sa sœur continuait de réduire le général-démon en chair à pâtée.
Il s’approcha d’elle et posa la main sur son épaule. Claire, surprise, se retourna et lui envoya un coup qui le projeta contre le mur derrière lui.
En le voyant par terre, ses yeux redevinrent bleus et elle sembla recouvrer ses esprits.
— Théo ! Je t’ai fait mal ?
— Aow ! se contenta de répondre ce dernier en se frottant la tête. Mais qu’est-ce qui t’a pris ?
Sa sœur s’immobilisa et regarda autour d’elle comme si elle découvrait ce qui venait de se passer.
— Bon sang ! C’est moi qui ai fait ça ? demanda-t-elle en voyant les restes du démon.
— Et oui ma vieille. Il faudra qu’on en reparle d’ailleurs parce que j’ai failli faire venir un exorciste. Mais je crois que pour l’instant, le plus urgent est de mettre les voiles.
L’Agrippa s’était réfugié dans un coin de la pièce et tremblait comme une feuille.
Chapitre 16
Plusieurs coups tambourinèrent sur la porte du bureau.
— Dépêchons-nous ! cria Théo en fouillant fébrilement dans ses poches. Ah ! Je l’ai !
Il brandit triomphalement la clé des songes.
— Bien joué ! lui dit Claire alors que l’Agrippa continuait de trembler.
La porte de la chambre allait céder.
— VITE ! cria Claire.
Théo enfonça la clé dans la porte et l’ouvrit à la volée. Tout se calma d’un coup !
Le seuil du bureau ne donnait plus sur les hauteurs extérieures d’Éolia mais sur une immense salle du trône qu’ils reconnurent tout de suite.
— À vous l’honneur, dit Théo à l’Agrippa en désignant la salle. Et bienvenue au château de la reine des rêves.
L’énorme livre avança timidement.
Un chambellan roux, jumeau de l’ami d’un célèbre sorcier balafré à lunettes vint les accueillir.
— C’est toujours un plaisir de vous recevoir, leur dit-il. Si vous voulez bien vous donner la peine, sa Majesté a été prévenue de votre arrivée et vous attend.
Claire poussa l’Agrippa encore hésitant tandis que Théo retirait la clé de la porte et fermait derrière lui. À peine l’eut-il fait que celle-ci explosa et disparut !
Le chambellan les regarda, perplexe.
— Emmenez-nous auprès de la reine le plus vite possible. C’est urgent ! dit Claire.
Lorsqu’ils furent en présence de la souveraine, la jeune fille lui expliqua par le menu, tout ce qui s’était passé ces dernières semaines et à quel point la situation était grave.
Le sourire accueillant sur le visage de la reine se crispa au fur et à mesure de tout ce qu’elle entendait.
— Si je comprends bien, toutes les écoles de magie sont tombées ainsi que Tir-Na-Nog. Et le monde des hommes ?
— Ce n’est pas ce qui intéresse Lucifer pour l’instant, dit Théo. Il pense et il a raison, que le monde des hommes tombera comme un fruit mûr quand le Liber Mundi sera reconstitué. Nous vous présentons d’ailleurs le Liber Aerius, l’Agrippa d’Éolia, que nous avons emmené pour empêcher cette reconstitution.
— Je le connais, répondit la reine. Il lui arrive aussi de rêver. Soyez le bienvenu, vous êtes ici en sécurité, dit-elle en s’adressant au grand livre.
— Merci votre Majesté, dit ce dernier en feuilletant ses pages.
— Je crains par contre que notre présence ici ne mette votre royaume en danger, votre Majesté, continua Claire. Les kevnid-nozs sont de la partie. Ils se sont alliés aux démons et pourront facilement leur expliquer comment nous avons pu disparaître du bureau de Zéphyrus et où nous sommes allés.
— N’ayez aucune crainte à ce sujet, répondit la reine. Mon royaume est si vaste que s’ils parviennent à y entrer, ils mettront un temps fou à vous retrouver. En attendant je vais vous faire conduire à vos appartements. Vous devez avoir très faim.
— Ça oui ! s’exclama Théo avec une franchise telle qu’elle fit sourire la souveraine et sa cour.
Seule, Claire demeurait maussade.
— C’est quoi le souci ? lui demanda son frère dès qu’ils furent seuls avec l’Agrippa.
— Tout ça pour ça ! dit-elle désabusée.
— Je ne comprends pas.
— J’ai bien peur que nous soyons fichus. Nous ne pourrons jamais devenir des Supras.
— Mais pourquoi dis-tu cela ?
— Éolia n’existe plus à l’heure qu’il est. Notre cursus de magie jaune restera inachevé.
— Je ne le pense pas, intervint l’Agrippa. Le cursus à Éolia comme ailleurs est sanctionné par une métamorphose en créature de l’air. Vous avez déjà prouvé que vous saviez le faire. Vous savez aussi comment chevaucher les nuages et vous faire obéir des vents. Tout ce qu’il vous manque, ce sont les vrais noms des créatures et des choses liées à la magie jaune. Je les connais. Je peux vous les faire apprendre. Puisque pour l’instant nous sommes à l’abri ici, vous terminerez votre apprentissage avec mon aide.
— Moi ça me semble une bonne idée, dit Théo.
— C’est la seule option que nous ayons pour l’instant, dit Claire, alors d’accord !
L’Agrippa se mit à frétiller, sans doute de joie ou d’excitation. Il était difficile pour les deux enfants de décoder les émotions d’un grimoire de près de deux mètres de haut.
Les jours qui suivirent furent donc consacrés à apprendre les mots liés à la magie jaune qu'ils ne connaissaient pas encore. La reine des rêves était de plus en plus inquiète.
— Il se passe des choses, finit-elle par avouer au bout d’une semaine. Les rêves des hommes sont de plus en plus sombres et peuplés de créatures que je n’ai pas l’habitude d’y voir. Ils pressentent quelque chose de terrible. Bientôt, ils ne feront que cauchemarder et leurs esprits tomberont aux mains des kevnid-nozs.
Claire et Théo ne surent pas quoi répondre. Ils redoublèrent d’efforts pour acquérir le plus de mots possibles en un minimum de temps. Ils passaient chaque jour des heures entières à écouter l’Agrippa puis à recopier chaque mot pour l’apprendre ensuite par cœur.
Une telle intensité de travail ne fut pas sans conséquence. La magie jaune commençait à agir sur eux, ils le sentaient.
Ce fut particulièrement spectaculaire lorsqu’à l’issue d’une séance, ils réalisèrent qu’ils flottaient à une vingtaine de centimètres au-dessus du sol.
— Trop bien ! dirent-ils de concert.
— Parfait ! confirma l’Agrippa. C’est assez inattendu mais je pense que nous allons pouvoir passer à l’étape supérieure.
— Quelle étape supérieure ?
— Vous allez apprendre à voler par vous-mêmes.
— Mais je croyais que cela n’était possible qu’après plusieurs années de pratique, dit Théo.
— Certes, répondit le livre, toutefois cela ne semble pas s’appliquer à vous deux. Ton nouveau nom, Théo, est très efficace. Quant à toi, Claire, tu disposes de ton propre Numineux depuis que ton nom a été effacé des registres des morts. Cela semble accélérer tous les processus liés à la Magie. Est-ce que votre mentor avait entamé un apprentissage dans ce domaine ?
L’évocation de leur mentor, tuée lors de l’attaque contre Éolia les remplit d’amertume. Ils baissèrent la tête.
— Je suis désolé, dit l’Agrippa. Je ne voulais pas vous faire de peine. Voulez-vous que nous fassions une pause ou que nous arrêtions pour aujourd’hui ?
— Non ! dit Claire. Nous devons devenir les plus efficaces possible justement pour terminer ce qu’elle a commencé.
— Bien, dans ce cas, nous allons reprendre depuis le début. Concentrez-vous ! Laissez le Numineux affluer en vous. Fermez les yeux ! Imaginez un endroit en plein air et en hauteur, avec une vue bien dégagée à 360 degrés. Que voyez-vous ? Où êtes-vous ?
— Au sommet d’une colline, le Menez-Hom, près de notre ancienne maison, répondirent en chœur les deux adolescents. Environ 330 mètres au-dessus de la mer.
— Ce n’est pas assez haut ! Soyez plus ambitieux ! Élevez-vous ! Élevez-vous encore !
Claire et Théo s’imaginèrent alors en haut du Mont-Blanc. Ils n’y étaient jamais allés mais avaient vu, il y a longtemps, un reportage à la télévision qui leur permettait de bien visualiser.
La magie jaune afflua en eux de manière plus fluide. Ils commencèrent à scintiller.
— Bien ! Très bien ! s’enthousiasma l’Agrippa. Continuez ! Et maintenant, tournez-vous vers l’est puis imaginez des oiseaux virevoltant en face de vous.
— À cette hauteur ? C’est impossible ! dit Claire.
— Ne laissez pas votre esprit être bridé par la réalité ! Libérez votre imagination, c’est elle qui favorise la magie ! Votre esprit décide. Imaginez les oiseaux. Sentez l’air qu’ils déplacent avec leurs ailes et laissez cet air vous imprégner, imprégner tout votre être. Avancez-vous au bord de votre sommet. Voyez les nuages en dessous de vous tandis que les oiseaux vous entourent. Vous y êtes ? Maintenant, prenez un peu d’élan et sautez ! Élancez-vous pour planer, juste planer !
Instinctivement, Claire et Théo étendirent leurs bras. Ils sentaient qu’ils s’élevaient.
— Oui ! s’excita le livre. Oui ! Respirez profondément ! Prenez conscience de l’air qui entre en vous, qui vous remplit. Sentez-le pénétrer toutes vos cellules et vous imprégner. Votre squelette aussi se remplit d’air. Vos muscles, votre peau. Vous imaginez que vous devenez transparents. Vous n’êtes plus que de l’air, comme les sylphes. Vous commandez aux vents de vous emmener où vous le souhaitez. Volez ! Volez !
Les deux jeunes gens se laissèrent d’abord planer puis commencèrent à se diriger. Ils ouvrirent les yeux après s’être cognés aux murs et au plafond puis sortirent par une fenêtre pour aller tester leur nouveau pouvoir à l’extérieur.
Chapitre 17
— Majesté ! Majesté !
La voix paniquée du héraut qui venait d’entrer dans la salle ne laissait présager rien de bon.
Depuis son trône, la reine des rêves lui fit signe d’approcher.
Parvenu devant elle, l’homme mit un genou à terre et baissa la tête.
— Votre majesté, une horde de kevnid-nozs a commencé à envahir votre royaume. Ils sont aidés par deux êtres métalliques brillants.
— Des golems d’orichalque, murmura Claire, on est mal !
— Où sont-ils ? demanda la reine inquiète.
— Ils ont investi les marches et s’y cantonnent pour le moment, répondit le héraut. Mais ils font venir du matériel et une brèche avec le pays des cauchemars reste ouverte en permanence. Les horreurs qui y vivent commencent à se répandre dans votre royaume.
— Connaissez-vous leurs intentions ? demanda la reine à Claire et Théo tandis que l’Agrippa, derrière eux, tremblait comme une feuille.
— Les kevnid-nozs sont revanchards votre Majesté, répondit Théo. Si je me souviens bien, ils envisageaient déjà de vous envahir lors de nos démêlées avec eux.
— Et ces êtres de métal, sont-ce ces golems d’orichalque dont vous nous avez parlé ?
— Je le crains votre Majesté, répondit Claire.
— Bien, répondit la reine. Que tout le monde se prépare, nous allons changer de rêve. Cela mettra un peu de distance entre eux et nous.
La reine appuya sur un gros bouton vert situé au bout de l’accoudoir droit de son trône. La salle toute entière se mit à trembler. L’assistance se rapprocha des murs et s’accrocha à tout ce qui était possible. Claire et Théo les regardèrent sans comprendre. Le temps qu’ils réagissent, il y eut une énorme secousse et tous deux furent projetés contre le mur le plus proche.
Lorsque tout se calma, les deux adolescents se relevèrent et se précipitèrent à une fenêtre pour découvrir dans quel rêve ils se trouvaient désormais. Ils poussèrent un cri d’admiration.
Le palais était posé sur quelque chose qui flottait ou volait dans un ciel de couleur lilas, au milieu de fleurs géantes et multicolores.
— Que diriez-vous d’une petite sortie ? proposa l’Agrippa.
— Ça me paraît difficile pour l’instant, répondit Claire.
— Allons, allons ! Je vais m’ouvrir et vous pourrez vous asseoir sur moi comme sur un tapis volant, insista le livre.
— Après tout pourquoi pas ? dit Théo. Allons découvrir notre nouvel environnement.
Claire acquiesça en soupirant et prit place sur l’Agrippa avec son frère.
— Faites attention à vous ! leur cria la reine des rêves alors que l’énorme ouvrage se soulevait de terre en les emportant.
Ils sortirent par une fenêtre et s’éloignèrent suffisamment du palais pour voir qu’il était désormais posé sur une raie Manta géante qui volait majestueusement.
— Je n’aime pas cela, dit Claire.
— Quoi donc ? demanda son frère.
— Attendre ! Attendre gentiment que les kevnid-nozs nous trouvent. Et puis après ? On s’enfuira encore ? Cela peut durer longtemps, sans changer grand-chose.
— C’est vrai, mais qu’est-ce que tu proposes ?
— Faufilons-nous dans le camp des kevnid-nozs. Nous l’avons déjà fait aux enfers, ça ne doit pas être plus compliqué. Quand on y est, on sabote tout ce qu’on peut pour les gêner un maximum. Si nous nous débrouillons bien, ils seront obligés d’aller se remettre en condition au pays des cauchemars et nous fermerons la brèche.
— Ça c’est dans la version optimiste mais…Hé !!!
Sans crier gare, l’Agrippa venait de se retourner, les renversant dans le vide du ciel lilas. Il se mit ensuite à tourner autour d’eux tandis qu’ils tombaient. Il attendait quelque chose.
Claire réagit la première. Elle étendit les bras puis ferma les yeux. Le Numineux s’accumula instantanément en elle. Elle s’imagina en haut du Mont-Blanc en train de prendre son élan et de sauter pour voler au milieu d’oiseaux qui se trouvaient là. Elle sentit alors sa chute ralentir. Lorsqu’elle ouvrit les yeux, son frère, plus bas, tombait comme une pierre.
— IL FAUT VOLER ! lui cria-t-elle alors qu’elle était désormais comme en suspension dans les airs.
Mais Théo n’entendait rien. Claire vit d’après ses mouvements désordonnés qu’il commençait à paniquer. Il ne parviendrait pas à accumuler du Numineux dans ces conditions.
Ramenant ses bras le long du corps, elle se laissa tomber comme un faucon. Elle eut peur, aussi écarta-t-elle à nouveau les bras pour ralentir. Elle repéra alors un courant d’air froid qui descendait. Sur son ordre, un petit vent d’ouest la poussa jusqu’à lui. Elle l’utilisa comme un toboggan invisible qui lui permit de rattraper son frère en panique.
Après lui avoir saisi la main, elle voulut recommencer à voler mais leurs poids combinés les entraînaient vers le bas.
— IL FAUT VOLER ! hurla-t-elle à son frère sans le lâcher. ACCUMULE DU NUMINEUX ET IMAGINE !
Théo comprit enfin. Il ferma les yeux et s’imagina à son tour en haut du Mont-Blanc en train de prendre son élan et de sauter dans le vide.
— BRAVO ! BRAVO ! cria l’Agrippa en tournoyant autour d’eux. JE SAVAIS QUE VOUS Y ARRIVERIEZ !
— C’ÉTAIT POUR ÇA ? hurla Claire furieuse. ON RÈGLERA NOS COMPTES AU CHÂTEAU ! MAINTENANT ON RENTRE !
Ni Théo, ni le livre ne prirent le risque de la contredire. Ils retournèrent au palais où ils arrivèrent sous les applaudissements de la reine des rêves et de sa cour.
— Vous m’avez fait peur ! les gronda-t-elle gentiment. J’ignorais que vous saviez voler.
— C’est tout récent, répondit Claire avec un regard furieux vers l’Agrippa.
— Vous étiez si beaux au milieu des fleurs dans le ciel. Si j’osais…vous pourriez recommencer ?
Claire n’eut pas le temps de répondre.
— Mais bien sûr ! dit Théo, trop heureux de retarder la colère de sa sœur envers le grand livre de magie.
Il prit une bonne inspiration, ferma les yeux puis s’envola sans effort et sans crainte. Après avoir effectué plusieurs loopings, il fit signe à sa sœur de le rejoindre. Claire soupira et s’élança à son tour. Elle réalisa qu’elle avait accumulé du Numineux sans le moindre effort, pour la première fois.
— Tu te souviens du vrai nom d’un feu d’artifice ? lui demanda Théo quand elle parvint à son niveau.
— Évidemment, c’était à la fin de notre année à Arcana : LAN-ARVESTETEM.
— Alors offrons à la reine un spectacle digne de notre marraine. Elle nous avait bien aidés lors de la commission d’entrée.
— C’est vrai que sans elle, nous aurions été formés comme de simples magisters verts, convint Claire. Allons-y !
Ils commencèrent par effectuer chacun de leur côté un looping pour venir ensuite se rejoindre et exploser dans une spectaculaire gerbe de poudre d’or. Ils repartirent ensuite dans des directions opposées, laissant dans le ciel une traînée rouge qui prit la forme du visage de la reine des rêves avant d’exploser en mille couleurs. Après un dernier double looping en huit, ils se rejoignirent dans une nouvelle explosion qui dessina cette fois la silhouette d’un dragon doré au milieu des fleurs célestes.
Lorsqu’ils redescendirent, Claire avait oublié sa rancœur contre l’Agrippa. Son frère et elle, euphoriques, profitèrent de l’accueil triomphale de toute la cour. Ils savaient voler désormais, une sensation qu’ils n’avaient encore jamais éprouvée sous leur forme humaine.
Chapitre 18
La liesse fut de courte durée. Un héraut catastrophé vint à nouveau prévenir la reine que le château avait été repéré. Les kevnid-nozs et les golems d’orichalque arrivaient.
— Déjà ? Mais comment est-ce possible ? demanda la souveraine.
— Je ne vois qu’une possibilité, dit Claire : le tableau de bord des rêves au pays des sables du sommeil. S’il y a un golem devant chaque écran, ils vont nous repérer à chaque fois.
La reine paniqua.
— Mais que pouvons-nous faire ? Nous n’avons aucun moyen de nous défendre !
— La seule solution serait que nous partions, dit Théo. C’est après nous qu’ils en ont.
— Oui, confirma Claire. Nous vous mettons tous en danger. Pour peu qu’ils aient senti le parfum des doux rêves quand nous avons utilisé la clé des songes dans le bureau de Zéphyrus, ils ont compris ce que nous avons fait.
— Il est hors de question que j’abandonne mes filleuls ! s’exclama la reine.
— Merci votre Majesté, nous n’en attendions pas moins de vous, mais vous devez également penser à votre peuple et surtout, sauvegarder les doux rêves pour les hommes, poursuivit Théo.
— Nous allons attendre qu’ils soient en vue du palais puis nous sortirons pour les entraîner à notre suite. Votre Majesté n’aura plus qu’à changer de rêve. Vous ne les intéresserez plus.
La souveraine réfléchit un instant puis soupira, résignée.
— Soit, je vous aurais bien laissé une monture pour vos déplacements mais il semble que vous n’en ayez plus besoin.
— ILS ARRIVENT ! ILS ARRIVENT ! cria un garde à l’autre bout de la salle.
Claire se tourna vers Théo et l’Agrippa.
— Comment procède-t-on ?
— Envolons-nous, lui répondit Théo. Passons devant eux pour les narguer et filons.
— Dans un premier temps, nous volerons les uns à côté des autres, précisa le grand livre, jusqu’à ce que nous soyons passés devant eux. Ensuite, vous monterez sur moi. Je peux atteindre des vitesses extraordinaires.
— Allons-y ! dit Claire.
Les deux jeunes gens montèrent sur le rebord de la fenêtre puis s’élancèrent dans le vide avec un saut de l’ange. Ils commencèrent par tomber, le temps de laisser leur imagination faire son effet, puis se mirent à planer et à voler.
Accompagnés par l’Agrippa, ils foncèrent droit sur les kevnid-nozs et les golems d’orichalque qui s’approchaient en formation dans le ciel du pays des rêves.
Arrivés à une centaine de mètres, ils passèrent devant eux en faisant de grands gestes pour se faire remarquer, puis s’enfuirent en prenant bien soin de se faire suivre.
Ils constatèrent alors que seuls les golems d’orichalque les avaient pris en chasse. Les kevnid-nozs continuaient droit vers le château.
— Ces saletés de kevnid-nozs veulent la reine des rêves, dit Théo. L’Agrippa ne les intéresse pas.
— Ils vont comprendre leur douleur, gronda Claire en tirant Excalibur de son fourreau.
L’arme et les yeux de la jeune fille prirent la même couleur noire que lors de son combat contre le général-démon. Sans plus un mot, Claire vira longuement sur sa droite et par en dessous, puis remonta comme une flèche au milieu de la formation des kevnid-nozs qu’elle fit exploser comme un « strike » au bowling.
Les golems d’orichalque s’en désintéressèrent complètement, préférant rester à la poursuite de l’Agrippa. Ils gagnaient du terrain.
— C’est le moment, dit le livre à Théo. Monte sur moi !
— Tu es fou ! Je ne peux pas laisser ma sœur !
— C’est moi que veulent les golems. S’ils me capturent, nous sommes perdus, tu le sais ! Nous reviendrons la chercher ! insista l’Agrippa.
— Et bien tu n’as qu’à partir ! Je vais les retenir pour te donner un peu de temps.
Sans attendre de réponse, Théo se retourna et fit face aux deux golems. Derrière eux, sa sœur faisait un carnage parmi les kevnid-nozs et les chauves-souris vampires géantes qui leur servaient de montures. Des éclairs noirs jaillissaient d’Excalibur qui faisait disparaître à chaque fois des dizaines d’entre eux.
Il resta un instant à l’admirer puis accumula le plus de Numineux qu’il put.
Il lança une boule de feu qui n’eut aucun effet sur les golems. Ces derniers répliquèrent par des rayons rouges qui le frôlèrent. Son cerveau fonctionnait à toute vitesse. Comment battre de telles créatures ?
À l’origine il ne s’agissait que d’une statue d’orichalque inerte qui avait été animée par son ancienne mentor, la belle Calcinia, alors possédée par le Liber Ignis, l’Agrippa du feu.
Par magie, elle y avait téléchargé le Liber Ignis, l'Agrippa de Pyrosia. Tout était parti de là. Ces colosses d’orichalque possédaient désormais les connaissances du livre plus celles du réseau informatique des tecknos, et ils pouvaient les utiliser.
Théo se concentra et accumula du Numineux. Il tendit ses bras vers le premier golem et prononça le vrai nom de la désintégration :
— Liankadenndem!!
Le golem se désintégra instantanément. Peine perdue !
Le deuxième golem se dédoubla aussitôt et chacun des deux se dédoubla encore une fois. Théo se retrouva face à quatre adversaires au lieu de deux. Il comprit qu'il lui faudrait pouvoir viser les quatre golems en même temps, ce qui était impossible.
Au moins pouvait-il les occuper, permettant ainsi à l'Agrippa de s'éloigner le plus possible.
Théo détruisit trois golems qui furent remplacés par huit autres. Il manœuvrait dans le ciel pour les garder au contact, mais lorsqu'il vit que deux golems cessaient de s'intéresser à lui pour reprendre la poursuite de l'Agrippa, il rompit le combat.
Il poursuivit à son tour les deux golems en question et parvint à les détruire puis il vola aussi vite que possible dans la direction du livre.
Un rayon rouge lancé derrière lui le frôla. Théo accéléra sans se retourner.
Ce furent ensuite deux rayons qui le frôlèrent. Le jeune homme savait qu'il ne pourrait pas rester hors d'atteinte très longtemps.
Puis il y eut un grand choc électrique et tout devint subitement noir.
Chapitre 19
Théo revint à lui enchaîné et bâillonné. Un golem le portait négligemment sur son épaule d'orichalque comme s'il n'avait été qu'un vulgaire sac de linge sale.
À ses côtés, deux autres golems transportaient l'Agrippa d'Éolia, entouré de chaînes lui-aussi. Le jeune garçon se tortilla dans tous les sens afin d'essayer de se dégager mais ses chaînes étaient trop solides pour lui permettre quoi que ce soit.
— Tentative inutile, dit le golem qui le transportait avec sa voix métallique. Probabilité de réussir à s'évader : 2,73%.
Théo se concentra pour accumuler du Numineux. L'énergie magique afflua en lui ...mais n'y demeura pas.
— Remerciements pour l'accumulation d'énergie, dit encore le golem alors qu'il absorbait tout le Numineux de Théo.
Ce dernier poussa un soupir de résignation.
— Arrivée zone des cauchemars prévue dans une heure dit le golem de Théo aux deux autres. Ordres reçus : remise du livre à 001/ remise de l'humain au prince des enfers.
Théo pâlit. Il allait être livré à Lucifer et l'Agrippa de Pyrosia aurait tous les autres Agrippas en sa possession. La couleur du ciel dans lequel il volait commença à changer. Elle devint plus sombre.
Le jeune homme se sentait de plus en plus mal à l'aise. Il essaya encore de se tortiller, sans plus de résultats.
En remuant, il remarqua toutefois un point lumineux loin derrière eux mais qui se rapprochait vite.
Devant eux, deux kevnid-nozs montant des corbeaux géants vinrent à leur rencontre. Ils constatèrent que Théo était incapable de se libérer avec un rire mauvais.
Soudain, le kevnid-noz sur la droite fit un signe à celui de gauche et montra le point lumineux qui continuait de se rapprocher.
Théo les vit partir en interception.
Alors qu'il estimait que les deux créatures de cauchemar parvenaient au niveau de ce qui les suivait, il les vit exploser.
Claire ! C'était Claire, sa sœur qui venait à son secours ! Il pouvait maintenant la distinguer.
La jeune fille vira sur le côté puis effectua une manœuvre d'enroulement pour se placer à une dizaine de mètres au-dessus d'eux.
Théo la vit marmonner quelque chose et ses chaînes disparurent. Il retira son bâillon, accumula du Numineux puis cria le vrai nom de la désintégration en tenant la tête du golem sur lequel il était entre ses mains. La créature d'orichalque disparut sur le champ.
Claire fit disparaître l'un des deux autres.
Le dernier golem lâcha l'Agrippa qui tomba. Il se multiplia deux fois et les quatre golems se lancèrent à l'attaque de la jeune fille.
Théo savait qu'ils réagiraient comme un seul golem jusqu'à la prochaine mise à jour de leur réseau. Cela lui laissait à peine cinq minutes pour s'occuper de l'Agrippa. Sa sœur lui fit signe de suivre le livre. Elle semblait gérer la situation.
Théo plongea à toute vitesse et rattrapa l'ouvrage. Le temps de prononcer le sort adéquat et les chaînes qui l'entouraient disparurent.
Aussitôt le livre s'ouvrit et les pages défilèrent pour parler.
— C'est vrai nous devons fuir ! dit Théo.
— Non, toi tu dois fuir. Moi je dois disparaître ! répondit l'Agrippa.
— Pardon ?
— Ne m'interromps pas. J'ai bien réfléchi. Je vais te transférer toutes mes connaissances. Tu seras le nouveau Liber Aérius.
Et avant que Théo n'ait pu répondre quoi que ce soit, l'Agrippa se mit à briller jusqu'à ne plus être qu'une boule de lumière jaune.
Un rayon s'en échappa qui vint frapper la tête du jeune garçon. Cela ne lui fit pas mal, mais il se sentit soudain envahi par un flot ininterrompu de connaissances liées à l'air et à la magie jaune.
Il connut d'un seul coup tous les vents. Pas seulement ceux de la Terre, mais aussi ceux de Tyr-Na-Nog et plus surprenant : ceux du cosmos.
La magie jaune lui fut soudain aussi naturelle que le simple fait de respirer. Il savait désormais le vrai nom de toutes les créatures volantes.
C'est à ce moment précis qu'il vit au loin que sa sœur était en difficulté. Il voulut aller l'aider mais le transfert des connaissances de l'Agrippa le paralysait.
La boule jaune diminua de volume, diminua encore jusqu'à disparaître complètement.
« Je suis avec toi désormais » entendit-il dans sa tête.
« D'accord ! pensa Théo. Comment cela va-t-il fonctionner ? »
« Tu sais tout ce que je suis et tout ce que je sais. Fais-en ce que bon te semble. Tu resteras tout le temps maître de tes décisions, je n'aurai qu'un rôle de conseil. »
« Ok, mais ça urge pour ma sœur là maintenant. Que fait-on ? »
« Tu as mes connaissances, sers-t'en pour te métamorphoser en quelque chose d'efficace. »
« J'ai une idée. Connais-tu le vrai nom des dragons ? »
« Non eux-seuls le connaissent car ils sont la progéniture du dragon primordial. Par contre celui des dragons du vent est LRAKENDEM. »
Sans perdre une seconde de plus, Théo accumula du Numineux et se métamorphosa en un superbe dragon rouge presque transparent du vent du sud.
Il commença par foncer au milieu des golems qui encerclaient sa sœur puis fit exploser leur dispositif comme s'il s'était agi d'un jeu de quilles.
Alors il souffla et battit des ailes tellement fort que tous furent expédiés hors de leur vue. Certes ils allaient revenir, mais cela leur offrait un répit. Théo reprit sa forme première.
— Théo ? C'était toi ?
— Bien sûr ! Qui d'autre sinon ?
— J'ai cru d'abord que c'était un supplétif des démons envoyé en renfort des golems puis comme tu m'aidais j'ai cru que c'était la reine des rêves qui t'envoyait.
— Ben non, tu vois c'est moi !
— La vache ! Comment as-tu pu te transformer en dragon des vents ? Et où est l'Agrippa ?
— Les deux sont liés. Il m'a transféré toutes ses connaissances pour ne pas être recapturé et livré à l'Agrippa du feu. C'est grâce à cela que j'ai connu le nom des dragons du vent. Je te le donne aussi, il pourra te servir : Lrankendem.
— C'est noté, merci ! Je crois qu'il vaut mieux ne pas rester ici.
— Mais comment fait-on pour sortir de ce rêve ?
Un souffle de vent du nord les glaça jusqu'aux os.
Sur leur droite au loin, un nuage argenté avec des lumières rouges clignotantes venait droit sur eux.
— Les golems, ils reviennent ! Et ils se sont multipliés ! dit Théo.
— De mon côté, c'est pas mal non plus ! répondit Claire. Les kevnid-nozs nous envoient un comité d'accueil.
En effet, un autre nuage, noir cette fois, composé de chauve-souris et de vautours géants montés par des lutins-araignées, fonçait vers eux.
— Tu dois partir, dit Claire en se transformant en un dragon blanc du vent du Nord. Je vais essayer de les retenir le plus longtemps possible !
— Non ! répondit Théo. Je ne te laisse pas !
— Tu dois sauver l'Agrippa et ne t'inquiète pas ! À priori, ils tiennent à nous capturer vivants sinon ils t'auraient déjà tué. Nous nous retrouverons.
— Non je refuse ! reprit Théo.
D'un coup d'aile, Claire le dragon, projeta Théo loin d'elle par surprise. Elle se mit ensuite à tournoyer sur elle-même de plus en plus vite jusqu'à provoquer une immense tornade contre laquelle les formations des golems et des kevnid-nozs vinrent se fracasser.
Théo s'apprêtait à retourner vers elle lorsqu'il entendit une voix dans sa tête.
« Ta sœur a raison, nous devons fuir », lui dit l'Agrippa.
« Je ne la laisserai pas ! »
« Dans ce cas, nous serons capturés tous les deux et tu seras absorbé par les autres Agrippas lorsqu'ils reformeront le Liber Mundi. Ta sœur sera sûrement remise à Lucifer comme toi-même devais l'être. Il/Elle veut vous pervertir pour profiter de votre pouvoir de Supra. Si tu n'existes plus, ta sœur n'aura plus de valeur et il/elle la tuera. Claire s'est sacrifiée pour que nous puissions fuir. Toi, le mieux que tu puisses faire pour elle pour l'instant, c'est de ne pas te faire capturer. »
« Mais comment partir d'ici ? »
« Tu as toujours la clé des songes ? »
« Oui, mais il n'y a pas de porte ici ! »
« Je lis dans ta mémoire que tu étais déjà venu auparavant au pays des rêves. Tu n'avais qu'à vouloir quelque chose pour que cela apparaisse ! Nous y sommes toujours, n'est-ce pas ? »
Théo se maudit d'avoir oublié ce détail. Il pensa très fort à une porte en bois qui apparut aussitôt devant lui. Il y introduisit la clé des songes, l'ouvrit, franchit le seuil et referma la porte derrière lui. La porte disparut.
Chapitre 20
Pendant ce temps, Claire-dragon du vent combattait toujours les golems d'orichalque et les kevnid-nozs. Les lutins-araignées ne faisaient pas le poids contre la nouvelle puissance de sa métamorphose. À chaque battement de ses ailes membraneuses, une dizaine était désarçonnée et tombait dans le ciel du rêve où elle se trouvait.
Ils tentaient bien de lui infliger quelques dommages avec leurs armes de cauchemar mais elles ne faisaient que la traverser.
Les golems d'orichalque, eux, se révélaient redoutables. Certes elle pouvait aussi les envoyer promener avec ses ailes, mais ils se dédoublaient systématiquement et chaque fois qu'elle faisait disparaître un, celui d'à côté se multipliait. Sa magie était impuissante.
Lorsqu'elle leur lançait un sort, les golems absorbaient le Numineux et lui renvoyait un rayon de magie rouge qui la traversait.
Ils formaient également une masse de plus en plus compacte qu'elle repoussait de moins en moins loin.
Il arriva un moment où elle fut submergée par le nombre. Les golems, ne pouvant la toucher, l'enfermèrent dans un sort champ de force et elle ne put plus bouger.
Claire ne voulut pas prendre le risque de reprendre sa forme humaine pour ne pas dévoiler son vrai nom à ses adversaires. Elle savait que le pari était risqué. Plus le temps passerait, plus elle risquerait de voir son ego se dissoudre dans celui de sa métamorphose, à savoir un dragon du vent du nord.
Après l'avoir immobilisé, les golems se figèrent, transmettant sans doute la nouvelle de sa capture et attendant la mise à jour de leur réseau pour recevoir de nouveaux ordres.
Un groupe de kevnid-nozs sur des vautours géants voulut profiter de cet instant pour harceler Claire, mais les golems les firent s'enfuir par quelques rayons de magie rouge.
Ils firent ensuite mouvement en emportant la jeune fille avec eux. Le trajet dura longtemps. Le ciel autour d'eux s'obscurcit de plus en plus jusqu'à n'être plus qu'une nuit sans lune.
Claire parvenait encore à se repérer grâce aux lumières rouges des visières des golems. Ils arrivèrent finalement devant un crâne gigantesque luisant d'une lueur verte sinistre.
Sa taille était telle que lorsqu'elle et les golems pénétrèrent dans un des trois orbites oculaires, elle eut l'impression d'être un moucheron.
Claire comprit où elle se trouvait lorsqu'elle ressentit la même impression malsaine qu'elle avait eue quand elle avait aidé l'enchanteur Merlin.
Ce qu'elle voyait la terrifiait, même si elle savait qu'il ne s'agissait que de cauchemars : toutes les formes possibles de fin du monde, de crimes et de catastrophes.
Parfois il ne s'agissait que de situations embarrassantes pour celui qui la vivait. Claire tentait alors de respirer profondément pour se tranquilliser mais l'air se raréfiait dans sa bulle et le répit était de courte durée. Elle préféra garder les yeux fermés.
Tous ses autres sens étaient encore agressés par sa traversée cauchemardesque : des cris de terreur ou de rage, une odeur nauséabonde de moisissure et de charogne. En fermant les yeux, elle parvint à suffisamment se concentrer pour ne pas paniquer ni devenir folle.
Cela dura un moment puis quelque chose changea.
La jeune fille voulut rouvrir les yeux, mais elle n'y parvint pas. Elle eut beau essayer de les ouvrir le plus grand possible, elle sentait bien ses paupières bouger, mais tout était noir autour d'elle.
La panique l'envahit !
Une fléchette kevnid-noz avait dû l'atteindre sans qu'elle la sente. Mon dieu, elle était aveugle !
Le désespoir s'ajouta à la panique.
Elle se débattit, mais elle sentait toujours la bulle de champ de force qui l'empêchait de bouger.
Bizarrement ce fut lorsqu'une voix vint lui chuchoter à l'oreille d'arrêter de respirer et de se laisser mourir qu'elle se sentit mieux. Elle comprit d'un coup où elle était et où elle était emmenée.
Tout lui fut confirmé lorsqu'elle sortit de l'obscurité et vit sous elle le paysage du septième cercle des enfers.
Les golems furent interceptés par des démons armés de fourches crépitantes de magie noire. Ils les escortèrent jusqu'à un palais du premier cercle que Claire reconnu pour être la demeure de Lucifer.
Ils atterrirent dans la cour centrale et la jeune fille, toujours prisonnière du sort et sous sa forme de dragon, fut jetée sans ménagement dans un cul de basse fosse à sa taille.
La bulle de champ de force autour d'elle disparut. L'odeur était telle qu'elle faillit vomir : une odeur de fumier âcre mélangée à du soufre.
Claire essayait de conserver les idées claires. Déjà sa personnalité commençait à lutter contre celle de sa métamorphose. Son côté dragon du vent gagnait du terrain.
Elle se reprit.
Elle n'allait sûrement pas rester là. Connaissant Lucifer, il avait des projets pour elle sinon elle serait déjà morte. Elle était certaine que le prince des enfers chercherait d'abord à se venger avant de l'utiliser pour capturer Théo.
Comme elle ne pouvait pas faire évoluer les choses, elle décida de rester concentrée pour lutter contre la personnalité liée à sa métamorphose. Elle admettait qu'elle s'était transformée en dragon du vent sans penser que cela allait durer, cependant il s'agissait d'une créature puissante. La transformation physique avait été facile, toutefois, jamais elle n'aurait pensé que la transformation mentale gagnerait du terrain aussi vite.
Deux grands démons vêtus d'une armure de cuir pénétrèrent dans son cachot.
En voyant le dragon, ils s'amusèrent à la piquer avec leur fourche qui la traversèrent sans la faire souffrir mais ils lui envoyèrent ensuite des décharges de plus en plus douloureuses de Numineux noir.
Cela les distrayait de voir la bête souffrir à en juger par leurs rires sadiques chaque fois qu'elle réagissait à la douleur.
— T'as de la chance que le Prince te veuille vivante, saleté, lâcha l'un d'eux en crachant.
— Il a dit vivante mais il n'a pas précisé dans quel état ! précisa l'autre en envoyant à Claire une décharge si douloureuse que tout devint noir.
À moitié inconsciente, elle sentit qu'on la déplaçait. Une lourde porte se leva puis elle entendit des clameurs de joie mauvaise tout autour d'elle.
Son corps tout entier fut secoué par un violent spasme qui la fit réagir.
Elle releva la tête, souffla une tornade sur le démon qui venait de lui faire mal puis se redressa d'un bond ! Le démon alla s'écraser contre un mur sans qu'elle ressente quoi que ce soit. Son côté dragon avait presque pris le dessus. Elle avait désormais du mal à se rappeler de son propre nom.
En voulant bouger, elle constata qu'une de ses pattes était enchaînée, par une sorte de chaîne d'énergie noire, à un gros piquet d'acier au milieu de l'arène où elle se trouvait. Elle se débattit sans succès.
De rage, elle souffla encore une tornade et les démons du premier rang des gradins, devant elle, s'écrasèrent sur eux-mêmes à la grande joie de tous ceux qui les entouraient.
Des trompettes résonnèrent et le calme se fit.
Par réflexe, la jeune fille draconique se tourna vers l'origine de la sonnerie.
Chapitre 21
Elle vit une tribune plus luxueuse que le reste de l'arène avec des rideaux pourpres de chaque côté. Au milieu de cette tribune, Lucifer en personne siégeait sur un trône d'os et de métal.
Lorsque la sonnerie cessa, il/elle se leva avec majesté et prit la parole :
— Mes fidèles sujets ! Aujourd'hui marque mon triomphe définitif sur les deux enfants humains qui avaient tenu le démon Trépass en échec puis qui avaient tenté de me tromper ! Nous sommes à l'aube d'une ère nouvelle. Toutes les écoles de magie sont tombées. Tir-Na-Nog, le pays des fées est tombé également. Dès que le Liber Mundi sera reformé, notre victoire sera totale !
Des acclamations résonnèrent dans toute l'arène. Lucifer fit signe de se calmer puis poursuivit :
— Sous cette forme de dragon du vent se cache Claire, la jeune humaine dont vous avez entendu parler. Lorsqu'elle dira son vrai nom pour redevenir humaine, nous pourrons tous l'entendre et donc la contrôler. Libre à nous ensuite de faire d'elle ce que bon nous semblera.
Des acclamations l'interrompirent à nouveau. Lucifer savoura la dévotion et l'admiration de ses sujets démons pendant de longues minutes, avant de reprendre la parole :
— Merci, merci ! Taisez-vous maintenant ! Nous ne pouvons pas la forcer à nous donner son nom n'est-ce pas ? Je suis sûr que cette jeune fille préférerait laisser disparaître sa personnalité face à celle du dragon du vent plutôt que de donner son vrai nom. Il va donc nous falloir la motiver, précisa-t-il avec un sourire mauvais. Que l'on fasse entrer la motivation !
Claire vit avec horreur un chariot pénétrer dans l'arène, tiré par quatre coursiers infernaux et sur lequel un grand pieu de bois était planté. Attaché autour de ce pieux, son frère Théo, bâillonné, qui se débattait !
L'attelage vint docilement se placer au centre de l'arène, juste hors de son atteinte. Elle tira sur sa chaîne de toutes ses forces.
— Il est à vous ! hurla Lucifer au public avant de retourner s'asseoir.
Aussitôt les démons dans les gradins commencèrent à lancer des armes de toutes sortes en direction de Théo.
— NON ! cria Claire.
La pluie de projectiles se poursuivait. Une lance vint se planter juste au-dessus de la tête de Théo dans un sifflement sec.
Claire paniqua. Elle devint enragée lorsqu'une dague se planta dans l'épaule de Théo, lui arrachant une grimace horrible de douleur.
Elle tira sur sa chaîne qui disparut d'un coup !
Claire bondit pour protéger son frère... juste au moment où une hache vint se planter dans sa poitrine ! Elle avait oublié qu'elle avait la consistance du vent.
Théo regarda sa sœur avec une lueur d'incompréhension puis sa tête retomba sur son épaule gauche. Il était mort ! Théo était mort !
Claire hurla. Elle voulut s'envoler pour faire payer la mort de son frère mais des démons autour de l'arène lancèrent des filets crépitant de Numineux noir qui la clouèrent au sol.
Une rage venue du plus profond de son être la submergea. Son côté dragon prenait le dessus.
— Excalibur aide-moi ! pensa-t-elle de toutes ses forces tandis qu'elle se débattait.
— Je ne peux pas, s'entendit-elle répondre. Je suis dans mon fourreau, et incluse dans ta métamorphose tu le sais.
— Aide-moi à me venger ! Ils ont tué mon frère, je veux leur faire payer !
— Et alors ?
— Je ne pourrais le faire que si je reprends forme humaine pour retrouver mes pouvoirs ! Ma métamorphose prend de plus en plus de place. Je vais perdre ma personnalité ! Ne me laisse pas ! Pas maintenant ! Aide-moi à me venger ! Je veux qu'ils payent ! Tous !
— Oh oui, quelle rage ! J'adore ! Tu sais, il existe encore une solution !
— Laquelle vite !
— Reprends forme humaine, dégaine-moi et lâche prise ! Ne cherche pas à me contrôler. Nos esprits fusionneront et ton vrai nom changera puisque tu changeras de personnalité à cause de moi. Personne ne pourra te contrôler, même s'ils ont entendu ton ancien nom. À la limite ils pourront juste l'utiliser pour se transformer en toi d'avant notre fusion.
Claire savait qu'elle n'avait plus le choix. Il fallait qu'elle réagisse tout de suite pour reprendre le dessus sous peine de voir son ego disparaître.
— Je resterai moi-même ?
— Évidemment, on se connaît bien maintenant non ?
— Ok alors ! On fait comme ça !
La jeune fille marmonna son vrai nom qui résonna dans toute l'arène, retrouva forme humaine et dégaina Excalibur. Des clameurs de satisfaction perfide montèrent depuis les gradins.
Un démon ailé à côté de Lucifer répéta son nom, se transforma en elle et vola dans l'arène où il se mit à singer son désespoir au pied du corps de Théo.
Claire ouvrit son esprit à Excalibur et leurs personnalités fusionnèrent. Une distraction qui l'empêcha de remarquer que le cadavre de son frère s'était transformé en celui de l'elfe aux ailes de scarabée.
Sa main droite s'étant transformée en une lame d'épée, la jeune fille laissa libre cours à sa colère. Elle se rua sur le démon qui avait pris son apparence. Ce dernier se retrouva coupé en deux dans le sens de la hauteur avant d'avoir compris quoi que ce soit.
Un autre démon de l'entourage du prince des enfers tenta sa chance contre elle, sans plus de succès. Des magisters des ténèbres de la tribune essayèrent bien de lui jeter des sorts mais ils haussèrent les épaules d'impuissance devant le regard interrogateur de Lucifer.
Dans les gradins, le silence se fit. Quelque chose ne se déroulait pas comme prévu.
Tout le corps de Claire, prête à en découdre, irradiait d'une énergie noire, noire comme ses yeux.
Lucifer l'observa un long moment puis descendit à son tour dans l'arène.
— Excalibur ? demanda-t-il.
— C'est bien moi, répondit la Claire aux yeux noirs avec une voix grave et métallique.
— Ma vieille amie ! Cela faisait si longtemps ! Quelle joie de te revoir ! Tu tombes vraiment très bien. Nous allons accomplir de grandes choses ensemble !
Christophe est notre spécialiste des légendes de Cornouaille. Il nous livre ici, selon ses propres termes, "l'œuvre de sa vie" débutée en 2003.
Vous êtes auteur ? Vous pouvez tenter de rejoindre notre équipe en nous envoyant votre manuscrit, quel que soit le genre, si le thème de votre histoire est explicitement en lien avec une ou des légendes bretonnes. Vous prendrez soin de le signaler dans un résumé de votre histoire qui accompagnera votre lettre de présentation.